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Le lactosérum, jouet des marchés mondiaux

Le caractère hautement spéculatif du lactosérum complique son utilisation historique et vertueuse, par des porcs charcutiers élevés et consommés localement… Crédit photo : A.Coronel
Le caractère hautement spéculatif du lactosérum complique son utilisation historique et vertueuse, par des porcs charcutiers élevés et consommés localement… Crédit photo : A.Coronel

Originellement cantonné à une valorisation locale en alimentation porcine, le lactosérum est devenu un ingrédient laitier, avec des débouchés industriels. Le marché de sa poudre, dominé par quelques acteurs, connaît des fluctuations brutales et de grande amplitude, ce qui, en retour, déstabilise la filière porc IGP de Franche-Comté…

Benoît Rouyer, économiste CNIEL (l’interprofession nationale des produits laitiers), est intervenu, à l’invitation de la directrice d’Interporc, pour éclairer les participants de l’assemblée générale du 24 mai dernier au sujet du lactosérum. « C’est un aliment utilisé élevage porcin, élément des cahiers des charges de filières de qualité en viande porcine, mais aussi une denrée normalisée, échangée à l’international dans des proportions importantes » a introduit le spécialiste, rappelant au passage les propriétés de ce sous-produit de la transformation fromagère. « Il contient environ 20% des protéines natives du lait, celles qui sont solubles. 85% du lactosérum provient de la transformation laitière. »

Un déchet devenu précieux

Avant d’aborder ses utilisations : le lactosérum est en effet passé du statut de déchet au statut de sous-produit, puis de coproduit puis d'ingrédient à part entière, jusqu’à l’extraction de protéines sériques, qui peuvent ensuite être concentrées (WPC pour Whey Protein Concentrate) et séparées en isolats (WPI pour Whey Protein Isolate). Ces derniers constituent des ingrédients précieux dans l’industrie alimentaire, compte-tenu de leur valeur nutritionnelle exceptionnelle (laits infantiles) et de leurs propriétés technologiques (émulsification, solubilité, capacité à former des gels) mises à profit dans la fabrication des biscuits, sauces, chocolats, glaces… sans parler des compliments alimentaires destinés aux sportifs ! « Peu d’études quantifient ces différents débouchés, et nos seules sources fiables sont les données douanières, mais l’alimentation animale pèse encore lourd, pour environ deux tiers, malgré les diversifications ‘’food’’ (alimentation humaine NDLR) à très haute valeur ajoutée », synthétise Benoît Rouyer.

Sur le plan quantitatif, les volumes produits au niveau mondial augmentent, parallèlement à la transformation laitière. « Mais tous les pays n’ont pas le même niveau d’équipement nécessaire et les infrastructures pour transformer le lactosérum issu de la transformation fromagère en poudre de lactosérum. En réalité, deux acteurs principaux pèsent sur le marché international : l’Union européenne, à hauteur de 663 MT, et les Etats Unis, à 604 MT. Au sein de l’UE, la France est en tête, devant l’Allemagne et la Pologne. En face, les principaux importateurs sont asiatiques, avec la Chine loin devant (599 MT) suivie de l’Indonésie à 133 MT et la Malaisie à 89 MT. » Cette structuration particulière du marché explique largement l’instabilité des cours, hypersensibles à la moindre inadéquation entre l’offre et la demande. « Après 25 ans de croissance du marché chinois des poudres de lactosérum, il y a une rupture en 2022 (-17%) qui s’explique par la baisse de la natalité. Et la tendance est la même dans les autres pays asiatiques. » Au cours des 15 dernières années, les poudres de lactosérum ont fait le yoyo. « Ils ont varié brutalement dans une plage de 340 à 1 450 €/T – soit du simple au quadruple – avec une moyenne à 790 €/T. Le coût du séchage, directement impacté par le renchérissement des prix de l’énergie en 2022, à augmenté de l’ordre de 100 €/T, mais ne suffit pas à expliquer le bond des cours, qui sont retombés à 660 €/T actuellement. »

L’exercice compliqué de la prospective

Les productions de saucisses de Morteau et de Montbéliard, et de viande de porc de Franche-Comté, sous IGP, sont confrontées directement à la question de l’instabilité du cours du lactosérum. L’utilisation de celui-ci est en effet obligatoire dans l’alimentation des porcs charcutiers à hauteur de 15 à 35%, par le cahier des charges de ces IGP. 200 millions de litres sont consommées par an. Selon le niveau des cours, cette source de protéines est donc plus ou moins disponible et économiquement attractive pour les éleveurs de porcs… Il reste difficile de prévoir l’évolution des cours, car les fondamentaux structurels peuvent être bouleversés par la météo et le contexte géopolitique. « Les cours descendront difficilement plus bas que leur niveau actuel, prédit néanmoins Benoît Rouyer : les autres produits laitiers se stabilisent structurellement dans l’UE et les contraintes environnementales pèsent sur la production laitière. Cela n’aura pas forcément un impact mécanique sur les volumes disponibles de lactosérum, car c’est la proportion de lait transformé en fromage qui est déterminante. »