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La grande distribution s'accapare la valeur ajoutée

Olivier Mevel, spécialiste des relations commerciales dans le domaine de l'alimentation était l'invité de l'AG de le FDSEA-FDPL. Crédit Photo : A.Coronel
Olivier Mevel, spécialiste des relations commerciales dans le domaine de l'alimentation était l'invité de l'AG de le FDSEA-FDPL. Crédit Photo : A.Coronel

L’universitaire Olivier Mével, spécialiste en marketing agri et agro-alimentaire, était l’invité de l’AG FDSEA-FDPL. Il a dressé un tableau réaliste de la situation des consommations alimentaires dans notre pays et démontré comment la structuration des flux commerciaux conditionne la répartition de la valeur ajoutée en faveur des GMS, en dépit des efforts du législateur depuis 50 ans pour rééquilibrer la donne.

Il connaît bien le monde de la grande distribution. Pour en avoir fait son sujet d’étude à l’université de Bretagne Occidentale depuis 20 ans. Mais aussi pour être passé par la centrale d’achat du groupe Leclerc… Et c’est en connaissance de cause qu’Olivier Mevel considère la crise actuelle comme la plus importante depuis 1974. Notamment pour les consommateurs, qui même en 2007 lors de la chute de Lehmann Brothers, n’avaient subi que 2 % d’inflation.

Une inflation inégalement répartie

Car en premier lieu, il ne sous-estime pas la gravité de la crise : « La communication du Gouvernement c’est de rappeler que l’alimentaire ne pèse que 14 % du panier de la ménagère. Mais pour une famille monoparentale des 20 % les plus pauvres, ça peut aller à 50 % du revenu ! Donc mettez 13 % d’inflation là-dessus, ça pèse ! » a-t-il commencé. Pire : si l’inflation n’est « que » de 12,5 % pour les grandes marques, elle est de 22 % pour les 1er prix, les plus achetés par les plus pauvres.

L’impact de l’inflation est donc bien réel, mais inégalement réparti : les plus fragiles changent drastiquement leurs habitudes de consommation alimentaires, leur budget étant contraint par les dépenses pré-engagées qui représentent de 35 à 50 % de leur budget (logement, transport et communication).

Le ministre de l’économie, qui annonce sans arrêt la fin de l’inflation, est donc « comme Godot qui attend son train en vain » ! Facteur aggravant de la situation : il y a des gagnants et des perdants dans cette situation. Un rapport de l’inspection des finances qui vient de sortir le prouve : le rapport EBE sur valeur ajoutée a été évalué de la façon suivante -1 % pour les agriculteurs ; -16 % pour les industriels ; +4 % pour la grande distribution.

Leclerc grand gagnant

La grande distribution s’en sort donc plutôt bien, elle qui contrôle le goulot d’étranglement des flux alimentaires de notre pays : 6 centrales d’achat achètent à 30 multinationales, qui se fournissent auprès de 17 800 industriels et 2 300 coopératives, que livrent 370 000 exploitations agricoles… et ces 6 centrales d’achat vendent, via 45 000 points de vente, à 68 millions de clients. Leurs dirigeants pèsent lourd politiquement en France, où le seul moteur de la croissance disponible est la consommation. Leur position dominante leur permet de jouer gagnant à tous les coups : chantage à l'emploi, au pouvoir d'achat, pressions sur leurs fournisseurs... Petit bémol : quand on parle de « Grande Distribution », ce n’est pas non plus un groupe homogène, rappelle l’orateur. En mesurant les parts de marché des différents acteurs, on voit clairement un grand gagnant de la « guerre des prix » et peut-être de la LME (loi de modernisation de l’économie) : le groupe Leclerc, qui est passé en 15 ans de 17 à 23 % de part de marché. Intermarché et Système U gagnent aussi, Lidl également. De l’autre côté, Carrefour chute (25 % à 19 %), Auchan diminue, Géant Casino s’effondre…

De la fourchette à la fourche

Si les lois Egalim 1 et 2 ont des succès si limités en amont, c’est sans doute parce qu’elles ne sont « qu’une version modernisée de la LME, qui impose de commencer les négociations entre distributeurs et industriels ». Résultat : les miettes pour la production. Alors qu’il faudrait renverser la LME et commencer par négocier les prix entre les producteurs et les industriels, pour ensuite seulement négocier avec les distributeurs. « Mais même le président actuel disait, lorsqu’il était ministre, qu’il musellerait la grande distribution. » D’autres avant lui s’y étaient déjà cassé les dents : « Depuis la loi Royer de 1973 qui voulait encadrer le développement de la grande distribution, on a vu défiler 23 lois similaires jusqu’à Egalim, toutes suivies d’un rapport parlementaire. Toutes ont échoué. La structure oligopolistique du marché vaincra tous les cadres législatifs. »

Dans le même ordre d’idées, c’est la communication de l’État (et de Bruxelles) qui est trompeuse : « de la fourche à la fourchette »… Comme si c’était la production qui avait un impact sur la consommation. Dans les faits, c’est l’inverse : le consommateur arbitre, l’administration normalise, le producteur obéit. Dans ce contexte, la bureaucratie a beau se démener, elle n’a qu’une influence à la marge sur les comportements alimentaires.

Le marketing de la peur

Et même le marketing est une arme à double tranchant. De retour du SIA, Olivier Mevel a pu s’en apercevoir en écoutant la directrice de l’agence bio marquer sa désapprobation envers le label HVE (haute valeur environnementale). « Le consommateur français se gratte la tête. Dans notre pays où le taux de décès par intoxication alimentaire est exceptionnellement faible, il s’interroge sur les conséquences à long terme de son alimentation. » Dans ce contexte, les allégations « HVE » peuvent être trompeuses… Tout comme la communication de l’agence bio basée sur des allégations santé. « On aurait dû en rester à des arguments environnementaux pour la bio, les seuls qui soient justifiés. Et surtout ne pas utiliser le marketing de la peur. »

Le partage de la valeur ajoutée

Au sujet de la valeur ajoutée, on constate que sa répartition dans la filière alimentaire n’est pas stable. Sur 100 € d’achats, l’agriculteur en prenait 11,5 € il y a 20 ans… contre 6,3 € aujourd’hui. Les industries agro-alimentaires en prenaient 15,2 €, contre 12,5 € aujourd’hui. De l’autre côté, les commerces (GMS, magasins spécialisés) se taillent la part du lion : 28 € il y a 20 ans, 32,5 € aujourd’hui. Autre grand gagnant : les produits d’importation. Finalement, la part de la matière première agricole ne cesse de baisser au profit des services (vente, logistique, import).

Pourtant dans les exploitations, le chiffre d’affaires a beaucoup augmenté ces dernières années… Mais c’est un progrès en trompe-l’œil, car si on regarde les chiffres de la valeur ajoutée, elle est stable depuis des années à 1,8 % du bilan national. La raison : les consommations intermédiaires ont beaucoup augmenté.

La RHF ne joue pas le jeu

Le capital confiance dont jouissent encore les agriculteurs leur donne un rôle important dans le marché. Les GMS l’ont bien compris, qui utilisent (parfois sans rémunération) leur image pour vendre. Et avec le retournement du contexte, « ce sont sans doute des OP fortes qui permettront d’imposer un prix ».

D’ailleurs, l’origine France a bien fini par trouver sa place dans les GMS : qui ne peuvent plus miser sur le moins-disant à l’import. Ce qui n’est pas du tout les cas de la restauration hors foyer (RHF) qui représente pourtant un repas sur 5 en France. Si 22 % de l’alimentation est importée en France, c’est presque 50 % dans la RHF. C’est aussi là que se joue l’action syndicale : « Plus les JA ou autres syndicats sont actifs, plus la loyauté des distributeurs est forte », ironise M. Mevel. Comme quoi l’action syndicale a encore de beaux jours devant elle.