Conférencier spécialiste des coopératives, Roland Bauley a consacré à ce sujet un ouvrage, dans lequel il retrace à travers des exemples choisis l’histoire de cette forme d’organisation, d’origine agricole et franc-comtoise. Caractère collectif, ancrage territorial, inscription dans le temps long et surtout finalités humanocentrées sont autant d’atouts pour répondre aux défis pressants de l’Humanité.
Les coopératives font partie du paysage agricole, au point qu’on en oublierait presque qu’il s’agit – presque – d’une spécificité française. « En Europe, la France fait figure de leader coopératif, avec ses 20 à 22 000 entreprises coopératives, car si elle n’est que troisième de ce classement, elle compte le plus grand nombre de membres et de salariés d’entreprises coopératives et présente le plus important chiffre d’affaires coopératif (1,2 millions de salariés et 26 millions de membres). » détaille Roland Bauley, dans son ouvrage consacré aux coopératives. Actuel maire de Vaux-le-Moncelot, dans les Monts-de-Gy, il revient sur son parcours : « C’est de ce village dont je suis originaire. Je suis né dans une famille d’agriculteurs et j’ai grandi dans un état d’esprit mutualiste. Après des études agricoles, j’ai travaillé un temps pour une coopérative agricole céréalière de Seine et Marne, puis pour l’Union nationale des coopératives agricoles de céréales (UNCAC) dans l’obtention variétale, avant de revenir en Franche-Comté à la coopérative saônoise agricole où je suis resté jusqu’en 1996. C’est là que ma carrière a bifurqué vers le transport, via la logistique des silos et des camions… », relate le jeune retraité (et grand-père). Conférencier ‘’improvisé’’ depuis 2012, l’année des coopératives, il a été encouragé par des collègues et amis à écrire un ouvrage sur ce sujet qui le passionnait tant.
Né en Franche-Comté
L’histoire des coopératives se confond avec celle de la Franche-Comté : comme le rappelle l’auteur, dans l’introduction de sa deuxième partie, intitulée « des exemples porteurs d’avenir », la quête des origines du mouvement coopératif nous emmène au Moyen-Âge. « Les premières traces écrites de ‘’fructeries’’ furent relevées dans six textes d’un cartulaire d’Hugues 1er de Chalon-Arlay, rédigés en 1264, ils attestent d’une production de fromages de grande forme à Deservillers… un village qui s’enorgueillit d’être la plus ancienne fructerie du monde ! » Dérivé du mot latin fructus (fruit), la fruitière est une forme d’organisation coopérative ancestrale, dictée par la nécessité de mettre en commun le lait de plusieurs troupeaux pour fabriquer un fromage de garde. Considérée comme un exemple vertueux du partage de la valeur ajoutée, de la bonne gouvernance et de l’ancrage au territoire, la filière comté s’appuie encore aujourd’hui sur son tissu dense de fruitières. A la fin du XIXème siècle, du côté de Poligny, naissent tour à tour le syndicat agricole de l’arrondissement et la caisse de crédit mutuel agricole… qui allait donner naissance à la grande banque que nous connaissons tous. « Ce fut la première société de crédit mutualiste en France : initiative hardie de la part de Louis Milcent – promoteur du catholicisme social en France – si l’on en croit Zola, qui en 1897, faisait écho à la méfiance agricole face à l’emprunt, faisant dire au fermier Hourdequin ‘’un paysan qui emprunte est un homme fichu !’’ » relève Roland Bauley. Et d’évoquer les utopistes comtois : Charles Fourier, Victor Considérant et Pierre-Joseph Proudhon.
L’internationale des coopératives
A la fin de XIXème siècle, l’idée de la coopérative est dans l’air de l’Europe industrielle, comme ne manque pas de le souligner l’auteur, à travers plusieurs exemples choisis (Rochedale dans le Comté de Manchester, Raiffeisen et sa société de secours aux agriculteurs impécunieux en Allemagne, ou encore les paysans danois de Hjelling…). Pour autant, l’idée de coopération n’est pas démodée, en ce début de XXIème siècle. « Je suis convaincu que le modèle coopératif est pertinent pour répondre aux grands enjeux collectifs auxquels l’Humanité fait face : la préservation de l’environnement, la santé, la démocratie… » poursuit Roland Bauley. Et de citer quelques exemples d’initiatives coopératives bienvenues, comme dans le domaine des circuits courts. « En cette aube du XXIième siècle, des SCOP innovantes voient le jour. Je pense par exemple aux coopératives cyclo-logistiques, nées autour de 2016 pour faire face aux plates-formes concurrentes de livraisons à domicile, en limitant les solutions bruyantes et polluantes : Olivo, CoopCycle, les Coursiers Stéphanois. » Plus pointus, le secteur de l’intelligence artificielle et celui de la cyber-sécurité font aussi l’objet d’initiatives inspirées du monde coopératif, telles ces coopératives numériques, qui mutualisent leurs ressources, ou l’ULTS (Uralungal Technology Services), né dans l’Etat du Kérala en Inde.
Bien que fervent défenseur du modèle coopératif, Roland Bauley n’ignore pas les dérives qui ont pu ternir son image. La crise financière systémique de 2007 avait par exemple mis en évidence choix douteux et peu éthiques du Crédit agricole en matière d’investissement : c’était la banque française la plus exposée dans les subprimes* ! Les producteurs laitiers collectés par Soodial savent bien que coopération ne rime pas forcément avec juste rémunération, car la première coopérative laitière de France est bien souvent la moins disante en matière de prix du lait… « Il est clair que certaines coopératives ont dérivé de leur esprit initial, pour devenir, via la création de filiales, des groupes capitalistiques qui se comportent comme leurs concurrents privés, pour être présents sur les marchés mondiaux, reconnaît Roland Bauley. Néanmoins je reste optimiste, c’est ma nature, et je suis convaincu que l’essence du modèle coopératif est bienfaisante, pour peu qu’on reste à une échelle locale, avec une gouvernance qui permette aux coopérateurs de participer à la prise de décisions. »
Subprimes : prêts immobiliers accordés par les banques à des Nord-Américains pauvres, peu fiables, qui ont fait l'objet de spéculations en cascade jusqu'à l'explosion de la bulle financière... et ont fini par le renflouement des banques privées par des fonds publics, en vertu du précepte "too big to fail" (trop gros pour s'effondrer).