Conspués sur les réseaux sociaux, et parfois jusque dans leurs propres repas de famille, suspects dans tous leurs gestes professionnels, fragilisés économiquement par les crises, les agriculteurs en viennent parfois à douter de la légitimité de leur activité. Sylvie Brunel, géographe, leur a donné quelques raisons de croire en l’avenir de leurs métiers.
Enseignante en géographie à Paris Sorbonne, passée de 84 à 89 par l’ONG ‘’Médecins sans frontière’’, Sylvie Brunel est une figure bien connue du monde agricole, invitée régulièrement, comme à l’assemblée générale de la coopérative Interval, le 8 décembre dernier . « Vous êtes aussi écrivaine et vous venez de sortir un ouvrage intitulé ‘’Pourquoi les paysans vont sauver le monde’’… », introduit Didier Vagnaux, le président. La géographe a commencé par brosser un rapide tableau de « la confluence des calamités » que l’on observe depuis quelques mois : phénomènes météorologiques exceptionnels, crise énergétique, pénuries alimentaires, inflation… Ce dernier point peut-être plus préoccupant que tous les autres car « le prix de la nourriture conditionne la paix sociale… d’où les stocks stratégiques constitués par les Chinois, ainsi que de nouveaux acheteurs (le Mexique par exemple) : de nombreux pays sont très dépendants de la Russie et de l’Ukraine pour leurs approvisionnements en blé. »
Une agriculture à la peine
Si la crise est mondiale, la France aussi est touchée. « L’agriculture française souffre », reconnaît Sylvie Brunel, qui a écrit un livre sur l’arboriculture fruitière, filière aussi attaquée, pour l’emploi des produits de traitement, et qui peine à recruter. « Le développement est devenu ‘’durable’’, mais il faut comprendre punitif, voir pénitentiaire ! Va-t-on protéger les terres immergées avec ou contre les agriculteurs ? Le développement durable consiste à produire des richesses pour pouvoir les partager. », martèle-t-elle, avant de rappeler qu’avec seulement 5% de la SAU mondiale, la France détient un nombre record d’AOP et d’IGP, et que la qualité de ses paysages, façonnés par l’agriculture, attire chaque année 100 millions de touristes sur son sol. « A l’étranger les classes moyennes veulent manger et boire français. L’UE qui ne produit que 8% des gaz à effet de serre veut être le modèle en matière de diminution des émissions ce qui se traduit dans la PAC et le dispositif farm to fork. Les Français payent le prix de cette politique : descente en gamme, privations, effondrement du bio… »
Une agriculture de solutions
Or, même dans le domaine de l’environnement, la géographe prône une « agriculture de solutions ». « Il nous manque 10% de notre production énergétique, l’agriculture peut apporter des réponses, avec la méthanisation, le solaire, l’éolien… Il faut sortir de ces choix politiques incohérents, assortis d’une armada de contrôles, d’un empilement de normes. L’élevage, aujourd’hui critiqué, constitue, vous le savez bien, le seul moyen de valoriser des territoires difficiles, d’entretenir des paysages et de convertir les protéines végétales en protéines animales, faciles à assimiler par l’organisme. »
Sylvie Brunel a aussi donné quelques clés pour lutter contre les idées reçues et les solutions toutes faites des partisans de la permaculture… derrière leur écran : les confronter au principe de réalité, à commencer par celle des chiffres (avant de leur conseiller de se mettre au potager). « Les ordres d’idées : malgré leurs fermes urbaines, leurs Amap… les métropoles n’assurent que 2% de leur approvisionnement alimentaire, tandis que 7% de la production bretonne suffirait à nourrir la Bretagne. Les AMAP en Île de France c’est 3 500 T de nourriture, les besoins 2 millions de tonnes ! » En termes de protection des plantes, elle a convoqué le souvenir des doryphores… « Méfions-nous d’une vision idéalisée de la nature. Notre agriculture est plutôt exemplaire. » Et de donner quelques pistes pour les dirigeants de la coopérative « anticipez les évolutions règlementaires, afin de pouvoir ''ré-agriculturiser'' la France ! »