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Accordéon comtois : un atelier qui traverse le temps

Accordéon comtois, à Dannemarie-sur-Crête, est un atelier de réparation, d'accordage et de remise en état des accordéons. Crédit photo : A.Coronel
Accordéon comtois, à Dannemarie-sur-Crête, est un atelier de réparation, d'accordage et de remise en état des accordéons. Crédit photo : A.Coronel

L’atelier de l’Accordéon comtois tient à la fois du musée et de l’antre du gobelin bricoleur… ici, Aurélien Cornot répare, accorde et vend des accordéons, dans les pas de son père Thierry. L’électronique, les matériaux synthétiques et internet ont fait évoluer le métier, les fondamentaux restent inchangés : précision, minutie, ingéniosité… et sens de la relation !

Les bals-musettes et les guinguettes ont quasiment disparu du paysage… mais l’accordéon n’est pas mort ! « De nombreux musiciens et groupes d’aujourd’hui utilisent l’accordéon, s’enthousiasme Thierry Cornot : pour accompagner des chansons, faire de la variété, ou dans des styles plus modernes comme le rap. Il y a de belles choses ! » En effet, des groupes populaires comme Les Négresses vertes, la Mano negra ou les Garçons bouchers, puis les Têtes raides, Java, Mano Solo, et plus récemment Zebda, La rue Kétanou ou Le Ministère des Affaires Populaires ont bien dépoussiéré l’image un peu ringarde que pouvait trainer l’accordéon. Ailleurs dans le monde, on entend le son caractéristique du piano à bretelles dans des styles aussi divers que le raï algérien et la cumbia colombienne, sans parler des musiques de films, du folk, ou de compositions plus expérimentales ou confidentielles.

Une ferme familiale devenue atelier

Sur l'étagère du haut, un prototype d'accordéon doté de deux claviers pianos, main droite et main gauche... Crédit photo : A.CoronelAujourd’hui retraité, Thierry épaule à l’occasion son fils Aurélien qui a repris depuis quatre ans les rênes de ‘’l’accordéon comtois’’, entreprise créée dans les années 80. Il intervient notamment dans les échanges téléphoniques avec les fournisseurs de pièces allemands et italiens. « Il parle italien et se débrouille en allemand, et il aime bien ça… », s’amuse Aurélien. L’atelier-magasin se trouve à Dannemarie-sur-Crête, dans l’ancienne ferme familiale. « Nous descendons de la famille Mercier, venue du Haut-Doubs : le grand-père avait acheté cette ferme en 1957… à l’époque il y avait 10 grosses fermes dans ce village, et aujourd’hui il ne reste plus que l’exploitation du lycée agricole ! », relate Thierry. Le grand-père, Fernand Mercier, tenait du colporteur et du représentant de commerce. « Il vendait des fusils de chasse, des horloges, des meubles… et des accordéons ! A son décès brutal dans un accident de voiture, j’ai hérité de tout ce bric-à-brac, j’avais 18 ans. » L’atelier des Cornot garde la trace de cet héritage, avec ses tapisseries et sa décoration d’époque, ses affiches, photos, dédicaces, partitions, qui témoignent d’un passé pas si lointain. Sans oublier, bien entendu, les accordéons et instruments apparentés, parfois restés à l’état de prototypes, tels ce modèle de la maison italienne Piermaria à claviers piano à droite et à gauche, qui n’a pas eu de suite. « Ils ont tous une histoire ! », relève Thierry. Lui s’est formé à l’accordage auprès d’une pointure, Paul Marguin, figure bien connue de la maison Maugein. « Il tenait dans l'Ain un magasin de chasse, pêche et accordéon… un lieu de rendez-vous mythique où se retrouvaient amateurs d’accordéons et fêtards. »

Formé à bonne école

En parallèle, Thierry Cornot a suivi des études supérieures, pour devenir professeur d’histoire, un métier qu’il a exercé quelques années. « J’ai fait par exemple des remplacements au lycée agricole de Dannemarie ! », se souvient-il. Il a aussi été formateur en milieu carcéral, et guide touristique. « A l’époque, je n’étais pas sûr de pouvoir vivre des réparations d’accordéon. Et puis la génération d’ouvriers italiens venus s’installer après-guerre, parmi lesquels certains avaient un savoir-faire dans la réparation et l’accordage, a fini par s’arrêter. » Les années 90 signent pour lui le grand saut de la professionnalisation, avec la création d’une SARL. « C’était l’âge d’or des foires, des brocantes… je pouvais charger mon camion tôt le matin, et partir tenir un stand à la foire de Pontarlier, ou bien dans la région lyonnaise, et revenir tard, fatigué mais content ! » A cette époque, il a l’intuition d’investir dans une ‘’flotte’’ de modèles d’étude, destinés à la location. « J’en ai acheté une vingtaine, à 3 000 F pièce, que je louais 150 F par mois. Les écoles de musique se sont passé le mot et ça m’a permis d’avoir une ressource financière régulière. Il faut dire que la Franche-Comté est une terre d’accordéon. L’accordéon est vraiment ancré dans les mœurs, on en écoute, il y a des programmes de radio spécialisés, des guinguettes avec un public régulier, des jeunes qui apprennent... Ce n’est pas le cas partout en France. »

Electronique et nouveaux matériaux

Si le répertoire des accordéonistes a évolué, c’est aussi le cas de l’instrument. « Les accordéons fabriqués aujourd’hui sont beaucoup plus légers qu’avant, note d’emblée Aurélien : on utilise moins de bois massif pour les caisses, et c’est bien plus confortable et ergonomique pour les instrumentistes. » Autre évolution, la révolution du ‘’numérique’’, esquissée par les accordéons ‘’MIDI’’ (Musical instrument digital interface), et qui trouve aujourd’hui ses prolongements dans des appareils haut-de-gamme, sans fil, dotés d’un arrangeur… « J’ai eu la chance de rencontrer un véritable Géo Trouvetout, un artisan polyvalent et super ingénieux, local en plus, puisqu’il est installé à Beurre : il fait tous les métiers, antenniste, réparateur de robots de piscine, télés… et il s’y connait en cartes électroniques. C’est à lui que j’ai délégué l’équipement des accordéons en cartes électroniques quand ça a été la grande vogue. », poursuit Thierry.

Sur le web, l’accordéon comtois a fait sa place

A Dannemarie-sur-Crête, l'Accordéon comtois entretient aussi une collection d'affiches, de partitions, de modèles anciens d'accordéons. Crédit photo : A.CoronelAutre révolution, cette fois dans l’environnement des artisans, celle de l’internet. « ça a signé la fin d’une époque, celle des foires, des brocantes, des stands, du temps consacré aux longues discussions entre petits artisans, en attendant le client, à la convivialité, reconnaît Thierry. Au départ je n’y croyais pas trop, mais je ne regrette pas d’avoir fait faire un site web pour être présent sur internet, alors que ce n’était que les débuts… » Le web est en effet devenu un vecteur incontournable. « ça représente pas loin de 50% de notre clientèle, évalue Aurélien. Pourtant, notre site est minimaliste, il y a une page pour dire qui nous sommes et où nous trouver, une page pour les accordéons chromatiques, une page pour les accordéons diatoniques, que nous rafraîchissons régulièrement en mettant les photos et les caractéristiques des modèles que nous proposons à la vente, et ça s’arrête là. Nous avons aussi une page facebook. Pour bien faire, il faudrait aussi avoir un compte instagram, mais je n'ai pas vraiment le temps pour ça ! », poursuit le jeune-homme, qui exerce le métier d’infirmier de nuit en parallèle de son activité d’accordeur-réparateur. Le site internet d’Accordéon comtois, bien référencé par les moteurs de recherche, draine chaque mois des clients potentiel, y compris de pays lointains, comme le Japon. « Pour autant, on ne néglige pas la presse locale : un article paru il y a quelques années dans l’Est républicain continue de nous amener des clients. Certaines personnes découpent l’article et le gardent soigneusement, pour ‘’au cas où’’ et finissent par venir nous trouver quand ils ont une réparation à faire ! » C’est donc une clientèle variée qui pousse la porte de l’atelier, amateurs retraités passionnés, parents accompagnés de leurs enfants qui débutent, parfois même vedettes ou célébrités du petit monde de l’accordéon « ce sont les plus difficiles en affaires », reconnaît Thierry. Même si l’environnement a profondément changé, les règles du commerce demeurent. « Il y a du monde sur ce créneau, mais ce qui fait la différence, c’est la réputation de sérieux et d’exigence, l’histoire de la maison. Nous sommes là, installés depuis longtemps dans le paysage ! », conclut Thierry Cornot.

Accordéon comtois, 2 rue du cras, Dannemarie-sur-Crête. Site web de l'accordéon comtois, page facebook.

Thierry et Aurélien Cornot, dans le magasin-atelier Accordéon comtois. Crédit photo : A.Coronel
Thierry et Aurélien Cornot, dans le magasin-atelier Accordéon comtois. Crédit photo : A.Coronel