A l'occasion du bicentenaire de la naissance de Gérôme, nous vous proposons le portrait de ce peintre, dessinateur et sculpteur, qui fut dans la deuxième moitié du XIXème siècle le chef de file du cercle des néo-grecs. Son art du cadrage et du montage préfigurent d’une certaine manière le cinéma.
Né à Vesoul en 1824, Jean-Léon Gérôme montre très jeune des talents naturels pour le dessin. Baccalauréat en poche, il ‘’monte’’ à Paris en 1841 pour y poursuivre ses études, avec la bénédiction paternelle. Il devient alors l’élève du peintre Paul Delaroche - qu’il accompagnera en Italie quelques années plus tard – et suit des cours aux Beaux-Arts. À son retour d'Italie, il se fait connaître au Salon de 1847 par son tableau intitulé Jeunes Grecs faisant battre des coqs. « Il faut, écrit alors le poète Théophile Gautier, marquer de blanc cette année heureuse. Un peintre nous est né, il s'appelle Gérôme. Aujourd'hui, je vous dis son nom, je vous prédis que demain il sera célèbre. » La toile obtient un succès retentissant et le jury lui décerne la médaille d'or. Gérôme devient alors chef de file d'un nouveau courant, les Néo-Grecs. Rue de Fleurus, ces jeunes artistes passionnés par une vision nouvelle de la Grèce antique se réunissent et s’inspirent des trouvailles archéologiques pour réinventer les représentations de l’Antiquité gréco-romaine.
Le peintre voyageur
Gérôme s’essaye un temps à la peinture décorative, exécute des panneaux pour l'église Saint-Séverin et accepte la commande d'une vaste toile ‘’Le siècle d'Auguste’’, dont la réalisation lui prendra deux ans. Il effectue des excursions en Turquie, sur les bords du Danube en 1854 et en Égypte en 1857, tout en remplissant ses carnets de nombreux dessins. « La nature l'avait formé avec complaisance pour qu'il fût un peintre voyageur. Elle l'avait fait sain, robuste, infatigable, avec l'humeur et l'endurance d'un soldat. Il était né chef de caravane. L'Orient le hantait, et c'était une vieille tradition française d'aller interroger le Sphinx égyptien. Gérôme vécut huit mois aux bords du Nil d'une vie intense et enthousiasmée. À chaque étape, une fois le campement organisé, il saisissait sa palette et ses pinceaux. », relate l’académicien Henry Roujon, dans son ouvrage Artistes et amis des arts.
En 1855, il envoie à l'Exposition universelle Pifferaro, Gardeur de troupeaux, Concert russe et la grande toile représentant Le Siècle d'Auguste ainsi que La naissance de Jésus-Christ, acquise par le ministère d'État. Sa réputation augmente considérablement au Salon de 1857, où il expose sept tableaux d'un genre plus populaire, entre autres La Sortie du bal masqué et Le Duel de Pierrot. En 1859, il envoie au Salon une Mort de César. En 1861, il fait paraître Phryné devant l'aréopage. Au même Salon, il envoie une scène orientale, Le Hache-paille égyptien. Ses meilleures œuvres lui ont été inspirées par le courant orientaliste, sur la base de sujets égyptiens ou ottomans. Dans la brochure qui présente l’exposition rétrospective qui lui a été consacrée en 2010 au musée d’Orsay, on peut lire : « Ses représentations orientales sont tout à fait singulières ; sous couvert de l'exactitude que lui conférait sa manière précise, renforcée par son recours non dissimulé à la photographie, témoin de ses voyages, Gérôme inventa des scènes orientales qui puisaient à l'imaginaire pictural et littéraire de son temps. L'Orient que peignit Gérôme était celui rêvé dès 1829 par Victor Hugo, dans les Orientales. Ses images "vraies" de l'Orient de son temps demeuraient fidèles à une vison orientaliste, où se mêlaient sensualité et violence. […] Les images "exactes" de Gérôme paraissaient d'autant plus vraies qu'elles semblaient recréer sans faille l'Orient attendu par ses contemporains. Elles apportaient au fantasme l'estampille de l'authenticité. Il prit pourtant bien des libertés et peu de ses œuvres sont le fruit d'une observation directe. La plupart de ses toiles ne résistent guère à une analyse précise des scènes représentées au regard du contexte historique, géographique ou ethnographique dont elles se réclament. »
Une diffusion planétaire… grâce à la photographie !
C’est en 1859 que Gérôme se lie avec l'un des plus grands marchands d’art de son temps, Adolphe Goupil, dont il épousera en 1863 l'une des filles, Marie. Goupil était aussi l'un des fondateurs de la maison d'édition d'art qui porte son nom. Son génie propre fut d'avoir associé le commerce des reproductions d'œuvres d'art, alors en plein essor, à celui des peintures originales. Ainsi, les toiles de Gérôme connaissent une large diffusion : photographiées, les images des œuvres de l’artiste sont multipliées en masse et circulent dans le monde entier, touchant de nouveaux publics. Mondialement connues, telles La Sortie du bal masqué, elles s’inscrivent dans l’imaginaire populaire. « Les fresques de Cecil B. de Mille, Griffith, Guitry, voire, plus proche de nous, Ridley Scott leur doivent beaucoup, ainsi que nombre de séries B. », écrit le journaliste du Figaro Eric Biétry-Rivierre, évoquant la « postérité inattendue » de Gérôme, qui compte d’ailleurs plusieurs stars du cinéma parmi les collectionneurs de ses œuvres, parmi lesquels Jack Nicholson ou Mme Sean Connery.
Venu tard à la sculpture, en 1878, il s’illustre dans la polychromie, en variant les matériaux utilisés (ivoire, métal et pierres précieuses) ou en peignant directement la pierre à l’aide d’une cire teintée. On lui doit par exemple une série dédiée aux conquérants, avec Bonaparte entrant au Caire, Tamerlan et Frédéric le Grand. L’enseignement est une autre facette de ce grand homme, devenu professeur de peinture à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1964 et qui forma près de 2 000 élèves.