La perception et les mesures d’adaptation au changement climatique de maraîchers de Haute Saône ont été enquêtées par Elise Rougier, stagiaire chargée de la capitalisation des pratiques d'adaptation et d'atténuation au changement climatique à la Chambre Régionale de Bourgogne Franche Comté. Plusieurs pistes d'adaptation communes se dégagent : infrastructures agroécologiques, évolution des pratiques culturales, organisation du travail...
Pour Marc Burri, installé depuis 2014 à Theuley, le constat est simple :
- La fréquence et l’intensité des périodes de sécheresse et de précipitations sont en augmentation.
- La culture de légumes peut être prolongée plus tard dans l’année, notamment sur la première moitié de l’hiver sous serre (une pratique inenvisageable il y a seulement 10 ans en Haute-Saône).
Ces transformations climatiques ne sont pas sans conséquences pour son exploitation. En 2018, les fortes sécheresses ont coïncidé avec les premières pertes d’EBE. Aujourd’hui, la croissance économique est davantage contrainte, avec des conditions météorologiques toujours plus changeantes et imprévisibles. D’autre part, les pressions croissantes de certains ravageurs (ici altises) entraînent d’importantes difficultés à conduire certaines cultures (choux par exemple), ce qui remet en cause leur pérennité. Est-ce la présence de colza alentour qui favorise l’accroissement des populations de ces insectes inféodés aux crucifères ou les hivers de plus en plus doux qui favorisent une remontée des populations du Sud ou Nord ? Ou les deux phénomènes qui se conjuguent ?
Deux leviers activés
Afin de faire face à la multiplicité des ces aléas, différents leviers sont considérés par Marc pour l’adaptation de son système. On retrouve d’une part la réduction du travail du sol et sa couverture (paillage, engrais vert). L’objectif : conserver l’humidité dans les sols. Seule problématique, la limitation du réchauffement des sols en sortie d’hiver, peu propice à la production de légumes primeurs. D’autre part, la plantation d’arbres entre les jardins de plein champ est un autre levier, avec des perspectives de résultats à long terme. Au-delà du microclimat établit et de l’ombrage protégeant les cultures des fortes chaleurs, les plantations arborées sont propices à l’attractivité de la biodiversité utile. A plus petite échelle, l’utilisation de semences de ferme montre un intérêt grandissant dans l’adaptation du végétal aux conditions climatiques changeantes (résultats satisfaisants observés sur la tomate). Le choix des cultures est quant à lui davantage réfléchi aux conditions de sècheresse. Marc a notamment introduit de la patate douce dans ses rotations, et transfère certaines implantations initialement sous serres en plein champ.
Enfin, l’adaptation des équipements est le dernier point mentionné par le maraîcher. Bien que rare en Haute Saône, le blanchiment des serres (technique de protection des cultures permettant de réfléchir jusqu’à 90% des rayons du soleil) pourrait être davantage considéré les prochaines années. Certains maraîchers de Haute Saône s’y sont déjà essayés par eux-mêmes, à défaut d’entreprise spécialisée. Il en ressort que cela implique quelques heures de travail supplémentaires et qu’une non-uniformité de l’épandage du produit est récurrente.
Plus de vent, des températures plus chaudes
De son côté, Cyrille Chaille, maraîcher et éleveur de volailles à Confracourt, remarque depuis son installation il y a 10 ans une augmentation des forces du vent et de la fréquences des sècheresses. Un décalage des saisons est également perçu, avec des inter-saisons sensiblement moins marquées. Par conséquent, les besoins en irrigation ne cessent d’augmenter.
Pour autant, un des points forts de Cyrille réside dans la gestion et la disponibilité de la ressource en eau sur son exploitation. La création d’un bassin de rétention, alimenté par les eaux de pluies via les chéneaux, ainsi que la disposition de cuves de récupération d’eau de pluie de part et d’autre des jardins, permet à Cyrille d’être autonome en eau toute l’année. En outre, son indépendance vis-à-vis de la fourniture en eau du réseau lui permet de réduire drastiquement ses coûts d’irrigation.
L’arbre (mise en place de jardin – verger), la couverture du sol (paillage, engrais vert), la multiplication des semences de ferme (une quinzaine de variétés de tomates), l’association culturale et la limitation du travail du sol sont autant de pistes développées pour s’adapter aux conséquences du changement climatique. De plus, le travail du sol réalisé en traction animale permet à Cyrille d’atténuer ses émissions de GES, tout en restituant directement de la matière organique au sol. Enfin, une récente réflexion sur la syntropie est initiée (organisation synergique et étagement d’une diversité des cultures). Seule difficulté, la mise en application sous nos latitudes (la technique est adaptée à des climats tropicaux) et à la prédominance de cultures annuelles à cycle court.
Des inspirations tropicales
Ainsi, bien que Cyrille ait pu mettre en application certaines de ses réflexions pour s’adapter aux effets du changement climatique, il ne souhaite pas pour autant « tout contrôler ». La priorisation des tâches et l’observation des composantes de son agrosystème sont des points d’adaptation davantage considérés.
Nouvellement installé à Velleclaire sur 3 500 m2, Adrien Baudier est un jeune maraîcher qui mentionne d’ores et déjà une intensification des sècheresses ainsi que des séquences pluviométriques plus longues et/ou intenses. Construites sur des terres ouvertes, les installations (serres) montrent une certaine vulnérabilité en cas de vent fort. Les risques de gel sont eux toujours présents et présentent parfois des surprises après des périodes de chaleur au mois de mars. Afin de réduire les risques au printemps, Adrien préfère ne pas trop se presser…
Etant raccordé au réseau du village, Adrien n’a pour le moment pas de problématiques d’irrigation. Il a la capacité d’utiliser les 800 m3 nécessaires à sa production. Pour autant, avec une ressource en eau dont l'arbitrage des usages deviendra prochainement conflictuel selon lui, la mise en place d’un système de récupération des eaux de pluie est envisageable. Toutefois, elle représente de lourds investissements (récupération, stockage, filtre, surpresseur) : difficile pour une petite structure et un jeune installé. Aujourd’hui, la gestion de la ressource en eau est notamment réfléchie en maximisant et en conservant la MO des sols. Cela passe notamment par une limitation du travail du sol et sa couverture (paillage, engrais vert, bâchage). Dans le cas de pluies continues et intenses souvent problématiques sur son terrain, Adrien réduit les risques avec un travail sur buttes. Enfin, dès son installation, un linéaire de haie a été mis en place autour de l’exploitation afin de réduire dans un futur proche les risques liés au vent.
Des pistes d'adaptation communes
Le maraîchage ne semble donc pas à l'abri des conséquences du changement climatique. Les retours parmi les maraîchers interrogés montrent que la perception et l’adaptation au changement climatique sont des sujets d’actualité pour la filière. Plusieurs pistes, souvent communes, sont mises en place par les producteurs afin d’adapter leur système de production aux changements climatiques (couverture et réduction du travail des sols, récupération des eaux pluviales, plantations arborées/arbustives, sélection des semences, etc.). Cet effort d’adaptation induit des coûts d’investissement supplémentaires, parfois difficilement absorbables pour ces petites structures. En outre, l’adaptation du maraîcher en tant que travailleur exposé aux conditions météorologiques est aussi un point à considérer. On observe en effet une évolution dans la manière travailler, avec désormais des horaires d’été décalées et ajustées. En période de pleine production, cela implique un réveil à 5h et une reprise à 16h jusqu’à la tombée de la nuit, après une pause entre 12h et 16h.