Maître Godart, notaire, intervenait à l’occasion de l’Assemblée générale de la section des anciens exploitants de la FDSEA sur le thème de les droits et devoirs des détenteurs de patrimoine. Il a insisté sur l'intérêt de bien anticiper la transmission du patrimoine agricole, compte-tenu des enjeux affectifs, économiques et fiscaux de ce sujet.
La préparation de la transmission du patrimoine agricole dans de bonnes conditions juridiques et fiscale doit concilier plusieurs finalités. D'une part la recherche de la rentabilité de l'exploitation, qui puisse rémunérer à la fois l'exploitant et le propriétaire foncier. D'autre part la restructuration de l'entreprise, en dissociant le capital foncier du capital d'exploitation, les héritiers n'étant pas appelés à reprendre l'exploitation elle-même ayant vocation à recevoir le capital foncier. « Comme vous êtes retraités agricoles, vous avez déjà transmis votre exploitation… je vais donc me concentrer sur la transmission du foncier, introduit Maître Godart. Ce foncier, c’est un patrimoine accumulé au cours de l’exercice. Il représente à la fois un complément de revenus pour la retraite, et un patrimoine aussi à transmettre à ses enfants… Comment va s’organiser le partage ? Les conséquences familiales et l’aspect fiscal se cumulent. »
Première option, la vente des terrains. « Avec cette solution, on récupère le capital. » On peut aussi opter pour la vente de la seule nue propriété, c'est à dire conserver l'usufruit (sur le plan juridique, la pleine propriété peut se démembrer en nue propriété et usufruit). « Dans ce cas on conserve le droit de percevoir les fermages, et la valeur du foncier vendu en nu-propriété subit une décote selon l’âge du vendeur. S’il a moins de 71 ans, la nu propriété vaut 60% de la pleine propriété, et on augmente de 10% par décennie (70% jusqu’à 80 ans, 80% jusqu’à 90 ans, 90% au-delà). »
Préserver la paix entre héritiers
Maître Godard n’a pas éludé la question du poids symbolique de la transmission du patrimoine foncier aux générations suivantes. « Pour la paix entre les héritiers, mieux vaut organiser les choses de son vivant : vous représentez une autorité morale pour vos enfants, et vous connaissez leurs caractères respectifs. Il existe plusieurs façons de faire le partage. Mais vous pouvez retenir que chacun des héritiers est alloti, et reçoit sa part sous forme d'un titre de propriété. L’égalité est celle du jour de l’acte, peut importe comment les choses évoluent par la suite. J'ai l'exemple un peu extrême d'un partage réalisé en 1975 qui comprenait un bien sur l'île de Ré dont la valeur à l'époque était de 40 000 € et qui en valait 800 000 au moment de la succession ! C'était un peu difficile à accepter pour les autres bénéficiaires du partage, dont les titres n'avaient pas pris autant de valeur... » Dans le cas d'une vente de la nue propriété par un couple d'agriculteurs retraité, l'usufruit revient au conjoint survivant.
« Tout ça s’envisage au cas par cas. Il faut raisonner en tenant compte des conséquences ultérieures. Pour les terres par exemple si on donne tout, il va y avoir pour l'héritier qui exploite une soulte à régler aux autres héritiers non exploitants.... D’où l'intérêt de constituer des sociétés, de types GFA (groupement foncier agricole) qui possèdent les terres. Ces sociétés sont constituées au moment de leur création par les parents, et la propriété y est répartie sous forme de titres (des parts). Elles sont plus faciles à distribuer car elles donnent lieu à des droits, et il faut la majorité pour prendre les décisions, telles que la vente par exemple, avec un droit réservé aux associés, ce qui permet de maintenir une certaine unité dans la transmission. Le GFA permet de maintenir l'unité foncière de l'exploitation. »
Au niveau fiscal, la transmission de la nue propriété est moins onéreuse. « L'usufruit n’est jamais taxé ! On peut donner de son vivant avec un abattement qui dépend du lien de parenté (100 000 € par enfant,7 500 € à un neveu ou une nièce. Imaginons 100 ha évalués à 3 500 €, soit un patrimoine de 350 000 € : déduction faite de la décote de 60% la nue propriété ne vaut plus que 210 000 €, répartie entre trois héritiers directs, on n'est plus fiscalisé. » Le notaire a aussi conseillé à son auditoire d'être rigoureux sur l'évaluation de la valeur des biens. « D'expérience je peux vous assurer que plus on est juste, c'est à dire proche de la réalité, et moins il y a de problèmes ultérieurs. Avec l'administration (redressement fiscal si un écart est constaté) et entre les héritiers, au sujet du montant de la soulte... Anticiper permet de conserver la paix dans les familles, et la sécurité d'exploiter pour l'attributaire des terres. »