Les salaisons sous signe de qualité de Franche-Comté ont plutôt bien résisté à la crise inflationniste… mais l’avenir de ces filières génératrices de valeur ajoutée et d’emploi sur le territoire passe par un travail de fond sur des relations de bon voisinage avec les riverains des élevages de porc.
La récente polémique suscitée par un projet d’élevage porcin sur la commune de Larnod, avec refus du maire de signer le permis de construire du bâtiment, malgré l’avis favorable des services de l’Etat sur le dossier, fournit une illustration de l’incompréhension à laquelle se heurte la filière porcine régionale. « Les consommateurs veulent manger de la saucisse de Morteau et de la viande de porc locale, mais dès qu’il y a un projet de bâtiment, c’est la levée de bouclier ! », résume Philippe Monnet, président de la Chambre d’agriculture du Doubs-Territoire de Belfort et de la coopérative Franche-Comté Elevage. Une pétition en ligne contre ce projet a recueilli près de 25 000 signatures. Elle met en avant des « risques » de nuisances, tels que la pollution du ruisseau, les mauvaises odeurs, l’épandage d’effluents près des maisons, et la concurrence d’usage de l’eau, en période de sècheresse. « Le nombre de piscines dans ce village ne les préoccupe pas autant ! »
Des clichés défavorables aux élevages de porc
Un coup d’œil aux commentaires déposés par les signataires de la fameuse pétition est révélateur de l’incompréhension et des malentendus auxquels doivent désormais faire face les porteurs de projet, en élevage, et plus particulièrement en élevage porcin. Nuisances olfactives, sonores, pollution des cours d’eau, gigantisme et laideur des bâtiments et des silos attenants… c’est le portrait un peu caricatural d’un certain modèle dit ‘’breton’’, dont les acteurs de la filière franc-comtoise sont en train de payer aujourd’hui la facture. « Pourtant ce projet répond à toutes les normes actuelles en matière de prévention des risques de pollution… », déplore Claire Legrand, la directrice d’Interporc Franche-Comté. Il s’agit même d’un élevage sur litière de paille, un véritable atout tant en termes de bien-être animal que de respect de l’environnement (la paille réduit les volumes d’effluents et leur odeur)… Mais l’argument ne semble pas porter.
Le modèle comtois – à peine 1% de la production nationale de porcs charcutiers - peine à convaincre de ses vertus, pourtant objectives. « L’utilisation locale du petit lait des fromageries de la région par nos porcs charcutiers est très favorable dans le bilan énergétique et carboné du cycle de production des salaisons et de la viande de porc comtois IGP, comme nous avons pu le démontrer avec une étude de l’ADEME », résume Jean-Michel Guignard, éleveur de porcs à la Chapelle d’Huin et président d’Interporc Franche-Comté Elevage.
Peu d’installations et une érosion des volumes produits
Aussi, au fil des années, les tonnages de porcs charcutiers produits en France (et en Franche-Comté) s’érodent, faute de renouvellement suffisant des générations, au risque de compromettre la souveraineté alimentaire de notre pays. La durée d’instruction des dossiers bâtiment, les enquêtes publiques et l’hostilité des riverains peuvent décourager les candidats à l’installation en élevage porcin. « C’est un constat que nous faisons aussi au niveau national : la conjoncture économique correcte, avec des cours élevés payés aux producteurs, n’a pas particulièrement favorisé l’installation », expose Arnaud Clouet, secrétaire général de la Fédération nationale porcine (FNP), invité de la journée régionale porcine. « Il y a des attentes sociétales contradictoires : d’un côté la volonté de consommer ‘’local’’, et de l’autre le refus de cohabiter avec des élevages de porcs, au risque de mettre en péril des abattoirs de proximité, tout un tissu d’entreprises partenaires et fournisseurs et de finalement favoriser ce qu’on ne veut pas, la concentration de la production et de l’abattage… On travaille sur cette question d’image, il y a des initiatives intéressantes, comme une vidéo réalisée par les éleveurs de porc du pays de loire, destinée aux écoles. »
Redorer le blason de l’élevage porcin
Pour Emmanuel Thiery, naisseur-engraisseur en Côte d’Or, président d’Interporc Bourgogne, et représentant de la section porcine au GDS, il faut faire œuvre de pédagogie pour combattre les idées reçues et améliorer l’image de l’élevage porcin auprès du grand public. « J’accueille pas mal de scolaires et d’étudiants sur mon élevage : oui, c’est hors-sol, c’est plus compliqué à organiser qu’une visite d’élevage bovin… mais on peut parler des mesures de bio-sécurité. Ceux qui viennent se disent surpris par le calme qui règne dans le bâtiment. Je discute aussi de l’utilisation des antibiotiques, du fait que justement la bonne maîtrise des paramètres de densité et de biosécurité permet à de nombreux élevages porcins de travailler ‘’en blanc’’, c’est-à-dire sans recours aux antibiotiques. »
Autre levier évoqué par Philippe Monnet pour favoriser l’installation, la contractualisation. « A cause des forts besoins en capitaux des élevages porcins et de la volatilité des cours, les banques peuvent être frileuses à prêter. Aussi Franche-Comté élevage propose aux éleveurs qui s’installent un contrat qui leur garantit un prix indexé sur les coûts de production actualisés pour 50% de leurs volumes, pendant les cinq premières années. Nous travaillons à intégrer également les clients (nos acheteurs) dans ce dispositif, financé par les fonds propres de la coopérative : ainsi les éleveurs de porcs ne supporteront plus seuls le risque de leur investissement. »