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Philologie : la zizanie, un antique problème de désherbage

Le salissement des cultures alimentaires par des plantes adventices pose un problème récurrent à l'humanité... depuis la domestication des céréales au néolithique. Crédit photo : A.Coronel
Le salissement des cultures alimentaires par des plantes adventices pose un problème récurrent à l'humanité... depuis la domestication des céréales au néolithique. Crédit photo : A.Coronel

«  Séparer le bon grain de l’ivraie » est une métaphore agraire qui trouve son origine dans une parabole du Nouveau Testament, narrée par Matthieu (13, 24-30). Son versant agronomique n'est pas dénué d'intérêt...

Alors qu’un ennemi a profité de la nuit pour semer de l'ivraie dans un champ de blé, le maître interdit à ses serviteurs de procéder à un désherbage immédiat, à cause du risque d’arracher aussi le blé : « à l'époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : arrachez d'abord l'ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier. » Mais qu’est-ce que l’ivraie ? Dérivé du latin ebrietas (ivresse), ce mot désigne une graminée commune, de la famille des ray-grass : Lolium tementulum. C’est une adventice, une messicole1, dont non seulement le cycle biologique, mais aussi la morphologie sont très proches de ceux du blé, au point qu’il soit difficile de distinguer les deux plantes jusqu’à l’apparition de l’épi. En effet, les épillets de l’ivraie sont adossés à l’axe central et n’ont qu’une seule glume, tandis que ceux du blé sont disposés côté plat avec deux glumes. Sur le plan alimentaire, l’ivraie a longtemps posé un problème majeur, car elle vit souvent en symbiose avec un champignon, du genre Epichloë, qui synthétise des alcaloïdes (témuline, ergovaline et loline), toxiques pour les insectes herbivores, les ruminants, et l’homme. Incorporés dans le pain ou la bière, ces molécules provoquent des symptômes similaires à ceux d’une ivresse alcoolique avancée : perte d’équilibre, vertiges, nausées, délires, et même la mort. Il est intéressant de noter que dans l’évangile de Matthieu, l’ivraie est désignée par le pluriel zizonéth en araméen, traduit par ζιζάνια (zizania) en grec, qui a donné par la suite zizānĭa en latin, puis zizanie en français, avec le sens de discorde, désunion. « Ivraie » est aussi quelque fois donné en traduction du mot hébreu ba’shah, la mauvaise herbe, dont la racine b’èsh a aussi donné bi’sho’, le diabolos grec : celui qui divise…

Plante messicole : à l'origine une plante pionnière, adaptée à survivre au travail superficiel du sol nécessaire au semis des cultures et à la moisson. La domestication et surtout la mise en culture des céréales au néolithique a créé de nouveaux habitats pour ces plantes. Et elles se sont diffusées en accompagnant la migration des espèces cultivées et ont co-évolué avec elles.

La thématique du semis de l'ivraie a inspiré de nombreux artistes.
La thématique du semis de l'ivraie a inspiré de nombreux artistes.