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Les chiffres qui font peur

Un stockage d'eau en Vendée, été 2023
Un stockage d'eau en Vendée, été 2023

Communication / On attend des agences techniques des données chiffrées, pas des slogans. Malheureusement, même dans les rapports de la Cour des Comptes, du Ministère ou de l’OFB, les titres racoleurs prennent le pas sur les données fiables. Exemple de l’eau.

Comment évolue la disponibilité en eau en France ? Mal, répond la Cour des Comptes dans un rapport en date du 17 juillet. « En France métropolitaine, la quantité d’eau renouvelable disponible - celle qui peut être utilisée pour satisfaire les besoins humains sans compromettre la situation future - a baissé de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018, passant de 229 Gm³ à 197 Gm³. » Pourtant, encore une fois, la Cour des Comptes qui n'a pas vérifié les chiffres du Ministère, se trompe.

Le « cherry-picking »

Pour venir étayer cette affirmation, la Cour se base sur une publication du ministère de la transition écologique de juin 2022. Dans ce document, le ministère avait en effet publié cette statistique : « Le volume moyen de la ressource en eau renouvelable annuelle diminue de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018 ». Les données étant publiques, il est facile de les retrouver et de vérifier cette assertion : oui, l’eau disponible a été, en moyenne, supérieure entre 1990 et 2001 par rapport à 2002-2018. Mais pourquoi cette coupure en 2001 ? Pourquoi pas 1998 (où on aurait calculé une hausse de 1%), 2003 (-11%) ou 2009 (0 %) ?

C’est ce qu’on appelle du cherry-picking (choix des données qui arrangent le rédacteur). Pour ne pas tomber dans ce travers, il existe des tests statistiques qui permettent de vérifier la validité des comparaisons effectuées. Par exemple le test de Student, qui permet de comparer des moyennes : appliqué aux deux périodes en question, il ne décèle aucune différence significative. Appliqué à la période coupée rigoureusement en deux (1990-2003 vs 2004-2018) non plus : aucune différence significative, d’ailleurs, sur aucune durée dans cette période.

Laissons le bénéfice du doute à la Cour : elle a peut être appliqué le test de Mann-Kendall, très utile pour déceler une tendance significative dans une série temporelle ? Là non plus, aucune tendance ne se décèle. Ni hausse, ni baisse de la pluviométrie, de l’évapotranspiration, et donc de l’eau renouvelable en France dans ces 30 dernières années.

Faits, projections, sondages

Rendons justice au ministère : avant de torturer les chiffres pour faire apparaître une « rupture » en 2001, les auteurs préviennent quand même, dans le document en question repris par la Cour des Comptes, qu’« aucune tendance uniforme à la hausse ou à la baisse n’est détectée de 1990 à 2018 ». Et si c'était ça, l'information importante ?

Dans d’autres documents d’organismes publics, ce qui compte le plus n’est pas ce qui est (les faits), mais bien ce qui pourrait être (les projections), ou pire, ce que le grand public en pense (le sondages).

Pour les projections, on peut regretter que la Cour des Comptes ne se limite pas à celles du Giec, qui prédit pour l’Europe après 2080 une augmentation des précipitations annuelles (p.1110 du dernier rapport du Giec) avec peut-être davantage de précipitations de décembre à mai, une baisse de l’humidité des sols (p.1119), et une augmentation des phénomènes de rivières atmosphériques (p.1134). Il existe assez de prévisions pessimistes des impacts du réchauffement climatique pour ne pas avoir besoin d’en inventer de nouvelles, fantaisistes et non sourcés.

Perception médiatique et réalité

L’autre confusion trop souvent rencontrée, est celle qui confond réalité et perception de la réalité. Un exemple concret se trouve dans un document de l’OFB paru en 2020 (Eau et milieu aquatique, les chiffres clefs) : sur les 25 pages consacrées à la ressource en eau (éléments de contexte et disponibilité), 7 sont consacrées au « sentiment » ou à la « perception » qu’en ont les Français ou leur administration préfectorale.

Dans notre monde gavé d’information, un gouffre se creuse entre la réalité et la façon dont elle est perçue : Sur un autre domaine, à la suite de quelques catastrophes très médiatisées en Australie, au Canada ou en Europe ces dernières années, beaucoup de gens sont ainsi persuadés qu’il y a de plus en plus de terres incendiées dans le monde, alors que c’est exactement le contraire que l’on mesure (voir AR6 p.694) : une baisse de 20 % en 20 ans, tant par le nombre de feux que par leur étendue.

Devenir de l'eau en France : diagramme de Sankey (Gm3)
Devenir de l'eau en France : diagramme de Sankey (Gm3)
En France, on consomme environ 2% de l'eau renouvelable disponible annuellement, mais qui est inégalement répartie au cours de l'année.
Pluviométrie et eau disponible : aucune tendance ne se dessine en France dans les 30 dernières années, ni à la hausse, ni à la baisse