Retour sur le rapport du CGAER évoqué dans notre édition papier de la semaine dernière. L’étude du ministère chiffre avec une précision démesurée la baisse du linéaire de haies, mais la critique que nous en faisions était elle aussi entachée d’une erreur : le ministère avait confondu taux de croissance des terres artificialisées et taux d’artificialisation des terres agricoles.
Dans notre décryptage de la semaine passée, nous accusions l’étude du ministère (sur la disparition des haies) de plusieurs malfaçons.
• D’abord d’un manque de réalisme sur l’estimation des linéaires de haies qui disparaissent. Les auteurs n’ont visiblement pas la notion de chiffres significatifs. Les bonnes pratiques veulent que dans une multiplication, on ne donne pas plus de chiffres significatifs que la donnée qui en a le moins. Par exemple quand ils divisent 8 019 par 0,7 ils devraient donc trouver 10 000, et non pas 11 455 km (un seul chiffre significatif est permis). Tout le rapport est truffé de ces sur-précisions.
• Ensuite un manque de recul : vu la précision des résultats (basé sur des estimations grossières), quand ils comparent 1,5 % (taux de disparition annuel des haies) à 1,3 % (« taux d’artificialisation des terres ») en page 11, nous relevions à juste titre que l’ordre de grandeur était bien le même, et que nous pouvions expliquer la disparition des haies par celle des terres.
Le taux d’artificialisation était en fait le taux de croissance des terres artificialisées
Sauf que là aussi, c’était une erreur de la part des auteurs du rapport (erreur que nous avons malheureusement reprise). Car ce taux de 1,3 % est bien celui de l’accroissement des terres artificialisées (passée de 3,77 Mha à 4,92 Mha entre 1998 et 2018, donc grandissant en moyenne de 1,3 % par an – source Agreste). Mais il n’a rien à voir avec le taux de disparition des terres agricoles, qu’il serait légitime, pour le coup, de comparer au taux de disparition des haies. Chaque année, les sols agricoles perdent en effet 60 000 ha en moyenne, sur un total de 28,4 Mha (Source Agreste), soit une perte de 0,2 % par an.
Conclusion : Si le chiffre de 1,5 % de perte annuel du linéaire de haies est vrai (ce qui reste à mesurer), on ne peut pas l’expliquer par la perte des sols agricoles. Seconde conclusion : la seule trouvaille certaine de ce rapport ministériel est qu’il faut inventer un moyen réaliste de mesurer la perte (ou le gain) du linéaire de haies. Et il serait bien que le ministère, qui ne manque sûrement pas de matière grise rue de Varenne, trouve les ressources en interne pour le faire, plutôt que de l’externaliser. Solagro (qui a fourni les chiffres aux auteurs du rapport) est sûrement une entreprise de conseil valable… Mais Mc Kinsey l’est aussi.
Tendance en France, et en Haute-Saône
Alors quelle est vraiment la tendance dans les haies, si la précision des mesures ne permet pas de sortir des chiffres précis ? L’impression générale est que les 20 dernières années ont été moins « destructrices » pour les haies que les 20 précédentes, et encore moins que les 20 précédentes.
Comparons pour se faire une idée les chiffres de l’enquête Teruti 1992-2004 avec ceux du rapport 2006-2020. Durant la première période, ce sont surtout les bosquets et arbres épars qui ont pâti des destructions (-1,3 % par an) tandis que les haies s’étoffaient (+1,3 % par an) ! Avec les bosquets (qui diminuaient) la perte totale est de -1,2 % par an. Sur la seconde période, la baisse totale (c’est la seule qui est chiffrée explicitement) est de… 1,2 % par an. Au même rythme, donc. Dont une partie expliquée par la perte du foncier agricole (d’autant que les zones prises par l’urbanisation sont souvent plus fournies en haies que le reste, comme les vergers).
Il n’y a certes pas de quoi se féliciter, mais pas non plus de quoi battre sa coulpe. Comme chacun peut s’en rendre compte sur les photos aériennes (remonterletemps.ign.fr) la grande période d’arrachage a été les années 60 et 70, sur recommandation des autorités. Depuis, les haies survivent, notamment en Haute-Saône. Ce qui est sûr, c’est que la perte de biodiversité en France est surtout due à l’urbanisation : que représentent quelques dizaines de milliers d’hectares de haies arrachées (réversiblement) face à quelques centaines de milliers d’hectares irréversiblement imperméabilisés ? Rappelons que plus de 2 millions d’hectares sont déjà imperméabilisés (44 % des surfaces artificialisées) en France, en croissance de 1,3 % par an.