Eleveurs laitiers, éleveurs allaitants, céréaliers, conventionnels et bio, jeunes et moins jeunes étaient animés du même sentiment d'exaspération pour manifester leur colère ces derniers jours en Haute-Saône. Ils attendent du pouvoir politique des gestes forts, cohérents et efficaces pour remédier aux causes du mal-être profond qui mine la profession agricole depuis des années.
L'ampleur de la mobilisation et la ténacité des participants, venus des quatre coins du départements avec tracteurs et bennes pour manifester, sont à la hauteur de l'exaspération des agriculteurs. Les opérations ont commencé mardi soir, le 23 janvier, à Loulans Verchamp, où une soixantaine d’éleveurs se sont réunis, à l’appel de la FDPL et des JA, devant les grilles du site Lactalis, pour dénoncer l’emblématique firme laitière qui, depuis plusieurs mois maintenant, refuse de s’accorder avec ses organisations de producteurs sur le prix du lait. Une opération « coup de poing », avec une vingtaine de bennes vidées devant les grilles.
Un air de « ras-le-bol »
Le lendemain, dès 10h, ce sont plus d’une centaine d’agriculteurs qui ont convergé vers le rond-point de la Vaugine. Une soixantaine de tracteurs, pour beaucoup attelés, ont installé un barrage filtrant sur le rond-point stratégique de l’entrée de Vesoul. Les commerces voisins, souvent cités pour leur manque de coopération avec la filière agricole française et locale, ont été impactés :
bennes de pneus et de fumier devant l’entrée d’Intermarché, de Burger King, de Leclerc. « Le désarroi s’est transformé en colère », analyse Emmanuel Aebischer, le président de la FDSEA de Haute-Saône, à la fin d’une journée de mobilisation de grande ampleur, qui a fortement perturbé le trafic autour du nœud routier du rond-point de la Vaugine, à l’intersection des N19 et N57. « De l’énervement de départ qui ne fait que monter depuis plusieurs mois on en est arrivé au conflit. C’est difficile de faire le tri dans tout ce qui ne va pas : les contraintes environnementales insupportables, la hausse des charges, la faiblesse du revenu, la déprise de l’élevage… La France, grand pays agricole, importe 60% de sa consommation de légumes ! En viande bovine, on arrive à 25% d’importations ! Les projections pour la production laitière montrent que d’ici trois ans la France manquera de lait ! Et tout en nous disant favoriser la souveraineté alimentaire - ‘’déléguer notre alimentation à d’autres est une folie’’, selon le président - nos dirigeants signent des accords de libre échange avec des pays qui ne s’astreignent pas aux mêmes normes sociales et environnementales. Le partage de la valeur ajoutée, n’a jamais été aussi inéquitable : sur un panier de 100 € d’achats alimentaires, 8 € seulement reviennent aux producteurs ! On a un sentiment d’abandon, l’impression de ne pas être écoutés ni respectés, et ce n’est pas faute d’avoir tiré la sonnette d’alarme, à chaque rencontre avec les représentants de l’État. » La fiscalité sur le gazole non routier, l’empilement de contraintes environnementales mal comprises – comme la protection des zones humides en cours d’élaboration - les complications administratives pour instruire les dossiers bâtiment ou les unités de production d’énergie, la hausse des taux d’intérêt, du prix des matériaux… plombent encore le moral des agriculteurs.
Les promesses non tenues des lois Egalim
Propos auquels souscrit Mickaël Muhlematter, le président de la FDPL70, qui complète : « La production laitière ne rémunère pas la main d’œuvre à sa juste valeur, et la pérennité de l’élevage laitier est en danger. Il y a un sentiment d’injustice profond quand on voit que la loi Egalim n’est pas respectée, que de grands groupes laitiers s’assoient dessus sans conséquences, par contraste avec les niveaux de contrôles que nous subissons dans nos fermes, avec pour le coup des vraies conséquences sur le paiement des aides. Cet irrespect des lois Egalim fragilise aussi par contrecoup les petites entreprises de transformation locales qui s’efforcent de les respecter et de préserver le tissu laitier. D’une manière plus générale, nous en avons assez d’être montrés du doigt sous prétexte que la production agricole pollue, que les vaches provoquent le réchauffement climatique : oui, les vaches polluent, mais c’est pour nourrir les humains. On ne peut pas en dire autant d’autres activités valorisées par la société, comme les loisirs, les grandes compétitions sportives, ou même la Cop28 ! »
L'élevage nourrit les hommes
Une délégation de six représentants des agriculteurs a été reçue jeudi matin par Romain Royet, le préfet du département. Ceux-ci lui ont fait part des motifs de colère et des doléances de la profession, notamment l’empilement des contraintes et mesures contreproductives, en contradiction flagrante avec les objectifs affichés de ‘’souveraineté alimentaire’’. « Fin du crédit d’impôt pour l’abandon du glyphosate, contrôle technique des quads, éco-régimes revus à la baisse parce que les agriculteurs y ont trop bien répondu... les gifles, ça suffit ! » a clamé Thierry Chalmin, le président de la Chambre d'agriculture, dénonçant un véritable ‘’harcèlement bureaucratique’’, avant de signifier « maintenant les gifles, c’est nous qui allons les donner ! » Justine Grangeot, la présidente des JA, a déploré que « les jeunes qui suivent un cursus agricole, dans leurs stages, voient leurs maîtres d’apprentissage noyés dans la paperasse, dégoûtés par la surcharge administrative... alors que ce sont sur eux qu’on compte pour leur donner l’amour du métier ! »
Dans ces conditions, les annonces politiques annoncées dans les prochains jours ne suffiront probablement pas à répondre à tous les motifs de mécontentement des agriculteurs… Mais le calendrier électoral et le contexte politique européen plaident néanmoins en faveur de gestes symboliques forts, pour éviter un enlisement du conflit et sa propagation à d’autres catégories socio-professionnelles.