Caractérisés par un cycle de production plus court que les élevages, les systèmes spécialisés en grandes cultures disposent de peu de leviers pour amortir la flambée des facteurs de production, notamment les engrais et le carburant. En 2022 comme en 2021, les prix ont permis de dégager des excédents de trésorerie… mais après ?
Justine Pasquier, conseillère à Saint Clément et experte en grandes cultures sur le nord du département de l’Yonne a présenté les résultats économiques des exploitations spécialisées pour 2022, à l'occasion d'une Fermoscopie, le 8 novembre dernier à Dannemarie-sur-Crête. A l’échelle de la grande Région, on compte environ 6000 exploitations spécialisées en grandes cultures, et l’échantillon suivi par Cerfrance est de 850. « Avec en moyenne 1,34 UMO 178 ha de SAU dont 153 ha de Scop. 56% de ces exploitations sont en société. Ce sont des systèmes structurellement exposés aux risques d’aléas climatiques et économiques, introduit la conseillère : en effet, avec un cycle de production court, peu de stocks, ils disposent de peu d’amortisseurs internes par rapport à la polyculture élevage (autoconsommation des céréales, rétrocession de fumier…). » L’envolée des cours explique une bonne part des bons résultats prévus pour 2022 « On prévoit 26% de hausse du produit en moyenne, avec des rendements stables (sauf pour les cultures de printemps) et une forte hausse des prix de vente, tandis que les autres produits d’exploitation restent stables. Mais on enregistre déjà 14% déjà de hausse des charges opérationnelles (sachant qu’elles intègrent des achats d’engrais et de produits phytosanitaires de l’exercice antérieur), +18% au niveau des charges de structure. L’EBE s’envole de 26% ; les amortissement et frais financiers restent stable. En conséquent, le RN progresse de 39% pour atteindre 107 600 €/UTAF »
Fluctuations de rendement
La présentation a permis d’envisager l’impact de la hausse des charges et d’une éventuelle sécheresse en 2023. « Alors qu’en blé conventionnel cette année le prix de revient augmente de 10% pour atteindre 1 270 €/T il était largement couvert par le prix de vente à 1 562 €/T. Si en 2023 les rendements ne sont pas dans la moyenne olympique, une augmentation des charges de 40% qui se conjuguerait à un repli du prix de vente de 25% suffirait à avoir une marge d’orientation négative. » D’où l’intérêt d’anticiper le renversement de tendance, toujours probable dans le domaine très spéculatif des céréales de vente. « Après quatre années à marge déficitaire, on a eu deux années à marge d’orientation positive, en moyenne 23 €/ha. 2021 a permis d’apurer la dette des années précédentes, 2022 de faire des réserves pour la suite. »
Le témoignage de deux exploitants de l’Yonne, Samuel Legrand et Sébastien Châtelet, au Gaec des Etangs (400 ha de céréales) est venu étayer la réflexion. « Ces deux exploitants, partant du du faible potentiel de leurs terres, ont cherché la valorisation avec le label HVE et la diversification (meunerie et vente directe). », explique le conseiller. « On regarde la rotation pour diminuer la dépendance aux intrants. On a stocké des engrais pour se prémunir vis-à-vis de la hausse des cours », précise Samuel Legrand.
La diversification de la rotation, bien que susceptible d’augmenter la quantité de travail d’une exploitation, reste un axe de résilience à creuser, tant vis-à-vis des aléas climatiques que des fluctuations des cours. « Encore faut-il avoir un débouché », ont fait remarquer plusieurs participants… Autre piste à explorer, la recherche d’amortisseurs externes : développer un atelier ovin ou volaille, par exemple, pour pouvoir faire jouer les synergies et les complémentarités. « Enfin, développer une épargne de précaution sera encore plus essentiel dans les années à venir compte-tenu des aléas, sans pour autant négliger les investissements, ni oublier l’assurance ! » conclut le conseiller.