Philippe Auger a rencontré la préfète la semaine dernière pour lui faire part des graves difficultés économiques de la filière allaitante… sans oublier les inquiétantes perspectives d’accords entre l’UE et le Mercosur.
HSA : qu’est-ce qui a motivé votre entrevue avec la préfète ?
Philippe Auger, président de l’Association d’Eleveurs ELVEA et de Bovin Croissance de Haute-Saône : Trois sujets très préoccupants pour les éleveurs, producteurs de viande : les accords commerciaux entre l’UE et le Mercosur, les prix du broutard, et enfin la loi Egalim.
La France n’a-t-elle pas rejeté les accords UE-Mercosur à l’automne dernier, notamment pour des raisons environnementales ?
Ph. Auger : Justement, la Commission européenne et la présidence portugaise du Conseil voudraient accélérer la procédure de ratification de l’accord commercial UE/Mercosur. Nous avons des raisons légitimes de penser qu’on s’achemine vers un retrait du droit de véto des Etats-membres, ce qui est inadmissible d’un point de vue du respect de la démocratie. Concrètement, dans l’UE il n’y a que cinq ou six pays qui sont opposés à la signature de ces accords : l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, la Belgique, la France… et l’Allemagne du bout des lèvres car ses intérêts industriels – automobiles – sont plus forts que ses intérêts agricoles. En arrière-plan se profile l’importation de viande produite en dehors de toutes contraintes environnementale, sanitaire et sociale (utilisation de produits phytosanitaires et de médicaments interdits dans l’UE), qui va concurrencer directement notre production, qui doit, elle, répondre à des contraintes de plus en plus drastiques. Ça revient à donner des arguments à tous ceux qui prônent la fin de la viande dans les assiettes, la viande qui pollue, qui détruit l’environnement…
Et pour les broutards ?
Ce n’est certes pas le rôle d’un ministre de l’agriculture d’agir sur le cours du broutard, mais ce qu’on aurait apprécié, c’est que la diplomatie française œuvre à l’ouverture des marchés à l’international, car ce qui pèse aujourd’hui sur les cours, c’est le manque de concurrence. Les importateurs italiens sont en situation de quasi-monopole, ce qui fait qu’ils peuvent orienter les cours. On aurait eu, ne serait-ce que trois bateaux par semaine pour la Turquie ou le Proche-Orient, et la situation aurait été très différente.
Enfin, la question de la loi Egalim, et des espoirs déçus…
Les interprofessions et les services de l’Etat ont mis beaucoup d’énergie dans ce grand chantier, après les Etats généraux de l’alimentation. Lors du discours d’Emmanuel Macron à Rungis, on a cru à une véritable volonté du chef de l’Etat de faire évoluer les choses dans le bon sens, vers un ruissellement de la valeur ajoutée jusqu’à la production. En mars 2021, alors qu’un nouveau cycle de négociations commerciales entre les fournisseurs et les acheteurs de la grande distribution vient de se terminer, on ne voit pas de différence ! Pire, on est en train de nous dire que cette loi n’est pas applicable, qu’elle n’est pas compatible avec la Loi de modernisation de l’économie ! Et la nomination de Serge Papin, l’ancien patron de Système U – qui a fait sa carrière en pressurant les fournisseurs – pour s’assurer de la répartition de la valeur ajoutée et de la juste rémunération des agriculteurs… c’est une provocation.
Un bilan de cette rencontre ?
La préfète a été très à l’écoute et l’entrevue s’est bien déroulée. Je compte sur elle pour faire remonter à ses ministres de tutelle les attentes fortes des éleveurs allaitants, qui ont besoin de perspectives pour pouvoir continuer à travailler, à protéger l’environnement et à faire vivre les territoires.