« L’agriculture française dévisse », a déploré le président Thierry Chalmin lors des questions d'actualité de la dernière session de la Chambre d'agriculture, dressant le constat d’un recours de plus en plus important aux importations, d’une flambée des intrants, et d’une contraction du budget alimentaire des Français…
« Déléguer notre alimentation à d’autres est une folie… nous a dit le président Macron : il ne suffit pas de le dire, mais encore faut-il le faire ! », a asséné Thierry Chalmin, dans son rapport moral lors de la session de la Chambre d’agriculture de Haute-Saône, le 3 mars dernier. Il a notamment alerté le préfet au sujet du risque que les agriculteurs français, après leur heure de gloire durant la parenthèse covid, soient désormais tenus pour responsables de la hausse des prix alimentaires dans l’opinion publique. « Nous ne voulons pas passer pour des affameurs ! » En effet, en arrière-plan des ‘’bons résultats’’ économiques de l’agriculture, tirés par l’inflation, les charges opérationnelles des exploitations ont aussi bondi : + 43,6% pour l’énergie et les lubrifiants sur la période janvier-novembre 2022, + 30% et + 69% en moyenne annuelle pour le gazole et le gazole non routier. Sans parler des engrais, des aliments du bétail, etc. « Seuls les curseurs ont bougé », regrette laconiquement le président, qui déplore les reculs dans toutes les productions animales, compensées par un recours de plus en plus massif aux importations. Importations de pays tiers dont les niveaux d’exigence en matière sanitaire, sociale ou environnementales ne sont pas au même niveau que les nôtres, faute de volonté politique d’appliquer des clauses miroirs dans les accords commerciaux internationaux. Les statistiques nationales fournies aux participants à la session font ainsi état, par exemple, d’un recul de 11% des abattages de volailles en 2022 par rapport à la moyenne 2017-2021, de 8% pour les bovins mâles de 8 à 24 mois, de 9% pour les veaux de boucherie…
Inflation de contraintes réglementaires
Des propos corroborés par plusieurs autres élus de la Chambre d’agriculture, tel Christophe Ruffoni, céréalier, qui s’est appuyé sur l’exemple des interdictions des insecticides de la famille des néonicotinoïdes et du S-métolachlore (désherbant), sans alternative technique, pour dénoncer les incohérences entre les incantations de souveraineté alimentaire et l’agenda politique dicté par les environnementalistes. « D’un côté on interdit aux agriculteurs français l’enrobage des graines de betterave – une plante qui ne fleurit pas – pour protéger les insectes, et dans le même temps c’est autorisé en pulvérisation en végétation en Allemagne ! C’est incompréhensible. »
Justine Grangeot, présidente des JA, insiste pour sa part sur la sur-administration de l’activité agricole « quand on voit le nombre de démarches, de justifications à fournir, le temps qu’on y passe, il y a de quoi se décourager, décourager aussi certains projets d’installation », a-t-elle déploré, tout en plaidant pour le maintien des soutiens aux dispositifs d’accompagnement de l’installation « le faible pourcentage d’échecs, 4% seulement, démontre la performance de ce dispositif. »
Conséquence tangible de la dégradation du pouvoir d’achat des Français, le repli préoccupant de la consommation des produits bio (-8% en 2022) a aussi été largement abordé. « Il met a mal la belle dynamique départementale de développement de ce mode de production, portée jusque-là par une croissance à deux chiffres. », note Thierry Chalmin. Les premières demandes de ‘’déconversion’’ traduisent ce retournement de tendance. Gérald Pichot a appelé les pouvoirs publics à davantage d’exemplarité en matière d’approvisionnement des restaurations collectives qui dépendent de l’administration. « Mettre du bio dans les cantines… sans oublier de mettre le mot français au bout ! Et un prix aussi, pour redonner de la valeur à l’alimentation : on ne peut pas nourrir pour quelques centimes. »
Vigilance sur le prix du lait
Enfin, Emmanuel Aebischer a alerté au sujet des risques de décrochage du prix du lait standard en 2023, alarmé par des signaux préoccupants « En Allemagne des entreprises annoncent déjà des baisses de 150 €/T… certes les mécanismes de fixation du prix sont différents des nôtres, plus réactifs, mais il va falloir être vigilant. » Dans le contexte inflationniste, il est bon de garder quelques points de repères. « La tonne de soja a toujours valu, à 10 ou 20 € près, le prix payé aux producteurs pour une tonne de lait standard. Aujourd’hui, elle est à 670 € ! »