La canopée photovoltaïque est un concept novateur : à 5 mètres du sol, des panneaux solaires rotatifs interceptent une partie du rayonnement solaire pour la production électrique. Au-dessous, les cultures bénéficient d’un microclimat favorable, notamment lors des pics de chaleur.
Vue du ciel, la canopée photovoltaïque du site d’Amance, en Haute-Saône, pourrait servir d’illustration à un roman de science-fiction. Les alignements géométriques des panneaux solaires, sombres, et des chemins d’accès, rompent avec la verdure de la campagne alentour… Inauguré le 8 septembre 2022, l’ouvrage est déployé sur une superficie de trois hectares. Les ombrières sont ancrées par un système de pieux, qui supportent des câbles, auxquels sont fixés des panneaux solaires inclinables, entre 5 à 8,5 mètres au-dessus du sol. La puissance de l’installation est de 2 700 kWhc, soit 3,2 GWh par an, l’équivalent de la consommation électrique de 1 350 habitants.
« Dans le développement de ce projet, nous avons intégré dès l’origine l’impératif de sa compatibilité avec les usages agricoles : l’espacement des poteaux (27 mètres), leur alignement, et la faible emprise au sol de la structure (0,5%) permettent l’utilisation de tous les engins agricoles courants, tels que les semoirs, pulvérisateurs, moissonneuses-batteuses… Enfin, elle est réversible, et permet de modifier le type de culture ou d’élevage, en cas de transmission de l’exploitation par exemple. », explique Bertrand Drouot l'Hermine, directeur général de la société TSE, l’entreprise à l’origine de ce projet-pilote.
Concilier photovoltaïque et pérennité des usages agricoles
Cette volonté de concilier les usages agricoles avec le projet a d’ailleurs une portée plus large que celle de l’exploitation concernée, et elle s’inscrit dans la durée. « Nous ne voulons pas non plus déséquilibrer le marché du foncier agricole sur le territoire, ou ouvrir la porte à des projets dans lesquels la destination agricole ne serait qu’un appoint, ou un prétexte. D’où le choix, dans le bail d’exploitation qui nous lie à l’exploitant et au propriétaire, du versement d’une indemnité́ partagée entre ces deux partenaires, de l’ordre de 2 000 €/ha (selon la puissance installée et l’évolution du prix de l’énergie). C’est un complément de revenu, sécurisé, qui permet aussi à l’agriculteur de conduire des expérimentations culturales. » Dans les termes du bail, TSE s’engage aussi à renouveler les panneaux photovoltaïques dans 20 ans, pour profiter des gains technologiques.
En arrière-plan, le producteur d’énergie solaire, connu pour la centrale de Marville dans la Meuse, fait le constat que le foncier de friche sur lequel il a déployé ses premières installations ne suffira pas à répondre aux objectifs nationaux (entre 35 et 44 GW d’ici 2028). « La réserve de foncier dégradé s’amenuise, tandis que les contraintes liées à la protection de l’environnement sur les sites concernés se durcit. », résume le directeur général.
Un important travail est conduit pour identifier de nouveaux sites éligibles à un éventuel déploiement d’ombrières agricoles. « Nous avons développé un logiciel qui travaille en multicouche pour intégrer toutes nos contraintes géotechniques (exposition, nature des sols, localisation…). La phase d’affinage permet d’aller sur le terrain à la rencontre des agriculteurs, pour comprendre la logique du système d’exploitation et vérifier si un tel projet peut y trouver sa place. »
Dispositif scientifique de suivi expérimental
TSE a noué des partenariats avec le monde de la recherche (Inrae, école d’ingénieurs agricoles de Purpan…), ainsi qu’avec la coopérative Alliance BFC afin de pouvoir conduire des essais agronomiques pendant neuf ans à Amance. « L’objectif est de vérifier la pertinence et l’efficacité de la canopée agricole sur différentes pratiques de cultures, mais aussi de pouvoir mieux connaître l’éventail des réponses variétales sous la canopée. », introduit Xavier Guillot, responsable R&D et agronomie chez TSE. Des stations météo, sondes et capteurs répartis dans la parcelle et les zones témoins mesurent en continu les paramètres agro-climatiques : pluviométrie, température et humidité du sol, rayonnement et photopériode, sommes de température, humectation foliaire, évapotranspiration, vitesse et direction du vent. Un protocole de suivi de la croissance végétative, de la biomasse foliaire, de l’activité photosynthétique, des composantes du rendement... complète le dispositif.
Sous les panneaux, le soja
Début juin 2022, à peine les ombrières déployées, c’est une culture de soja qui a été implantée, sur les 3 ha couverts par l’ombrière et 2 ha témoins. « Les conditions n’étaient pas des plus propices en termes de calendrier, car l’agriculteur est en ACS (agriculture de conservation des sols) et il n’a pas eu le temps de décompacter le sol, impacté par le passage des engins de chantier. » Six variétés de soja ont été semées. « Cette première année d’expérimentation confirme l’existence de différences variétales, avec une plus grande variabilité intravariétale de rendements mesurée sous l’ombrière que dans les bandes témoins, ce qui ouvre la voie à une sélection variétale sur ce critère pour les coopératives. » L’ombrage partiel et tournant sur la parcelle, obtenu tout au long de la journée par des trackers qui orientent les panneaux suivant l’axe du soleil d’est en ouest, a en effet une incidence sur les paramètres d’environnement. « Entre le 23 juin et le 15 août, la température au sol était en moyenne d’1,2 °C inférieure au niveau du feuillage, et à 30 cm de profondeur, cette différence était de 3,5°C. L’évapotranspiration est réduite, le flétrissage des feuilles également. Ces données confirment l’intérêt d’un ombrage partiel pour limiter les stress thermiques et hydriques, notamment aux stades sensibles, comme la floraison, la fécondation des graines… L’humidité du sol est également mieux conservée. » La poursuite de la rotation culturale sur ce site devrait livrer de nouveaux précieux enseignements au cours des prochaines années.