Le 14 mai, l’Afdi BFC (Agriculteurs français et développement international de Bourgogne-Franche-Comté) retournait sur les bans de l’école du lycée de Fontaines pour débattre de « la formation, appui essentiel à l’installation au Nord comme au Sud ». Si partout, le niveau technique augmente, les niveaux de vie restent souvent moindre que les moyennes locales.
Les paysans africains sont de mieux en mieux formés. Les plus anciens bénévoles de l’Afdi BFC voient bien la montée en compétence. Mais pour autant, certains savoirs ne s’apprennent pas à l’école. « Nous croyons dans le développement de l’humain », élargit le président de l’Afdi BFC, Marc Gauthier. « La formation des femmes et des hommes est fondamentale pour le développement agricole », que ce soit dans les pays du Sud comme du Nord.
Quatre étudiantes en première année de BTS Acse à Fontaines ont mené l’enquête. Se destinant à devenir soit ingénieure agronome, éleveuse en lait, en équin ou canin, Louise, Candice, Louison et Maëlys ont réalisé des interviews d’anciens de l’enseignement agricole désormais installés en Bourgogne-Franche-Comté. Et d’emblée les enseignements à retirer étaient nombreux, à tel point que Rémi Briel, secrétaire général-adjoint chez JA71, les invitait à venir présenter la vidéo à un prochain CA, notamment pour la parole recueillie et les arguments des « hors-cadres familiaux qui prennent de l’importance ». Difficultés face à la charge administrative ou pour l’accès au foncier, manque de connaissance pour avoir accès aux aides, sentiment de solitude face aux banques, coopératives… peu importe que les jeunes soient issues du monde agricole ou non, ils rencontrent tous des obstacles lors de leur installation et la clé semble être le réseau pour avoir accès aux bonnes informations.
Découvrir d’autres agricultures
Pour autant, comme le redisait Joseph Roux, céréalier dans l’Yonne, « les stages à l’étranger ouvrent les yeux sur d’autres cultures, c’est essentiel », lui qui a fait le tour du monde à l’exception de l’Amérique du Sud qui l’attend. Le directeur-adjoint de l’EPL Fontaines Sud Bourgogne, Samuel Bruley rappelait qu’un stage à l’étranger est obligatoire en BTS Acse « pour découvrir d’autres agricultures ». Il analysait alors le projet de loi d’orientation agricole (LOA), en cours de vote au parlement. Attention à ne pas mettre la barre trop haute pour ne pas décourager les vocations. Car les défis à relever sont majeurs : changement climatique, adaptation écologique, souveraineté alimentaire, productivité et vivabilité, « produire autrement »… les jeunes peuvent être « déstabilisés » par tant de responsabilités, allant même jusqu’à une forme de pessimiste : « si vous n’avez pas trouvé la solution, comment nous le pourrions ? »
Pour autant, les têtes sont toujours aussi bien faites et mieux remplies en théorie avec en préparation un bac + 3 (bachelor agro) qui devrait faire son apparition dès la rentrée 2024-2025. L’objectif de la LOA est aussi de former 50.000 professionnels de la formation et du conseil pour poursuivre « la formation continue » des agriculteurs et de leurs conseillers. Des conseillers qui doivent suivre également de plus en plus d’adultes en reconversion. Le directeur du CFPPA de Charolles, Sylvain Edoux propose des « formations spécifiques à la personne, avec un socle commun » dans son BPREA « multispécialité », menant à l’élevage bovin viande, équin, mais aussi au maraîchage et demain à l’arboriculteur. Du coup, « on évalue plus le raisonnement de l’apprenant et sa capacité à pouvoir s’installer », que ces connaissances pures et dures.
Rester humble et élever son niveau
Dans les pays du Sud, ce sont des profils à la frontière de ces deux mondes : agricoles et en reconversion. Car comme l’expliquait un ancien enseignement d’AgroSup Dijon présent, « beaucoup d’Africains ont Bac + mais ne trouvent pas d’emploi et se réorientent en agriculture ». Même « incubation » que dans les CFPPA, ces adultes « construisent alors leur business model » mais seulement 35 % des entreprises survivent au bout de deux ans d’existence, malgré « des mentors et coachs ». Responsable d’un centre d’incubation africain, Sandrine Soamazava pense qu’il faut, et « renforcer la formation et l’accompagnement » des incubés, mais aussi revoir « la posture des accompagnateurs, car trop descendante, sans laisser faire », ne permettant pas aux jeunes africains de trouver leur autonomie.
Une erreur que ne veulent pas reproduire les bénévoles de l’Afdi BFC qui restent humbles. « Du riz, ça reste du riz, donc on apprend à le faire pousser là-bas », plaisantait Joseph Roux. À 65 ans, Marcel Cottin était plus sérieux dans son témoignage, mais restait dans ce même état d’esprit. Lui l’Autunois qui « n’a pas eu la possibilité de reprendre la ferme familiale », a travaillé ailleurs avant de s’installer en élevage dans la Nièvre voisine. « Dans l’installation, il faut des relations professionnelles saines et sereines », lui qui se dit « choqué » lorsqu’il entend des stéréotypes sur les « non-issus du milieu agricole ». « Il n’y a pas que des fils de boulanger qui deviennent boulanger. En agriculture, c’est pareil, il ne faut pas avoir de complexes », invite-t-il chacun à réfléchir sans jugement hâtif. Et de mettre plutôt en garde ces confrères « élus » qui « doivent être au niveau des ingénieurs des OPA pour être en capacité d’analyser les propositions faites », par ces managers ou directeurs. Lui n’a pas hésité, en son temps, à se former à l’Ifocap Paris en 2005 pour « être acteur du monde rural » même.
Former en France ou en Afrique ?
L’éleveuse de Franche-Comté, ancienne conseillère régionale et présidente de l’Afdi BFC Sophie Foncquernie remarque qu’en Afrique, « ils manquent de formation agricole ». En France, c’est l’inverse, il manque de futurs agriculteurs. Mais pour le développement de l’agriculture africaine, « vaut-il mieux former ici ou là-bas ? » Le réseau national Afdi publie régulièrement des notes synthétiques sur « ce qui marche ». De quoi apprendre l'un de l'autre.
Alors que le lycée de Fontaines accueille actuellement six Tchadiens en formation BTS Acse et CS vente de produits fermiers, le directeur du lycée, Pierre Botheron n’a « pas de réponse toute faite. La même somme d’argent servira à former plus de monde en Afrique », ne plaidait-il pas toujours en faveur de la France. Car, « il faut faire aussi attention à la fuite des cerveaux » qui n’aide pas les filières agricoles africaines. Le directeur-adjoint du lycée, Samuel Bruley préfère les voir « mettre en pratique au Tchad pour servir d’exemples à d’autres Tchadiens pour améliorer leurs conditions ». Les différences de niveau de vie sont criantes néanmoins avec de jeunes Tchadiens devant souvent travailler à côté de leurs études à Fontaines. Car, si l’on dit qu’en France, les études sont « gratuites » (comparativement aux pays anglo-saxons, N.D.L.R.), en réalité, tout parent sait que les frais de scolarisation sont des investissements pour l’avenir que tous ne peuvent se permettre.