Parmi les annonces du Gouvernement pour apaiser la grogne des agriculteurs, on trouve la « re-discussion des indicateurs » du plan Ecophyto. Il s’agit d’un vieux sujet, la profession dénonçant depuis longtemps la pertinence des Nodu, QSA et autres IFT, qui ne rendent compte ni des risques liés à l’utilisation des pesticides, ni des efforts des agriculteurs pour économiser ces intrants.
On attribue à Churchill le bon mot suivant : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées ». On peut en rire, mais il est vrai que le choix d’un indicateur est avant tout un acte politique. Sur le sujet des produits phytosanitaires, on part d’un choix de société (également politique) : celui de la diminution de leur utilisation. Mais comment mesurer cette diminution ? Autrefois, l’UIPP (aujourd’hui Phyteis, union des industriels de la protection de plantes) donnait des chiffres annuels de tonnages de produits vendus. Depuis le début des années 2000, ces tonnages sont en diminution franche (environ 120 000 t en 1999, contre 60 000 t aujourd’hui) malgré un quasi-maintien de la production agricole nationale.
Mais que valent ces chiffres ? On ne peut pas raisonnablement comparer les produits phytos vendus dans les années 90, et ceux mis sur le marché aujourd’hui. À titre d’exemple, à la fin des années 2000, 15 % seulement des produits phytosanitaires vendus étaient utilisables en agriculture biologique. Aujourd’hui, d’après les chiffres du ministère de l’agriculture, c’est presque 40 % du tonnage. On mélange des choux et des carottes ; il a donc été décidé de trouver un autre indicateur que les tonnages bruts.
Des indicateurs contestés
Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, définir des indicateurs « objectifs » de consommation des produits phytosanitaires n’est pas une chose facile. Si on refuse de s’en tenir au tonnage total de pesticides vendus, il faut faire des choix méthodologiques, qui présentent toujours des inconvénients. Le ministère de l’agriculture a ainsi sorti l’IFT (Indice de fréquence de traitement), et plus récemment le Nodu (Nombre de doses unités).
Avec l’IFT (utilisé dans les Maec, le réseau Dephy, la certification HVE…) on évalue le nombre de traitements appliqués par l’agriculteur, relativement à la dose homologuée. Problème : quand la dose homologuée diminue, l’IFT augmente, alors même que la pratique n’a pas varié. Ainsi, si vous appliquiez en 2015 1,6 kg de Benta+ sur maïs (bentazone), votre IFT était de 1 ; si vous réduisez de 30 % la dose en 2023, à 1,1 kg, votre IFT est toujours de 1.
Avec le Nodu, actuellement indicateur phare du plan Ecophyto, on compte la surface qui serait traitée annuellement, avec les produits vendus au cours d’une année, aux doses maximales homologuées. Là aussi, la méthode est critiquable : quand on interdit un produit CMR (cancérigène), on va souvent le remplacer par un autre moins efficace, donc utilisable à plus forte dose : le Nodu va augmenter, alors que le résultat objectif est une amélioration des pratiques, et notamment l’exposition des agriculteurs (lire ici).
LE HRI prochain indicateur national ?
Il existe un autre indicateur, qui est dans les cartons depuis longtemps car après avec été instauré par Bruxelles en 2019 (après des années de concertation), il a été adopté par de nombreux pays européens : le HRI-1 (Harmonised risk indicator for pesticides). Il s’agit d’un indicateur calculé cette fois-ci à partir des ventes de produits phytosanitaires et de la toxicité de la molécule. Là aussi il s’agit de choix méthodologiques discutables, mais il semble que ce nouvel indicateur soit appelé à venir ripoliner le plan Ecophyto, indiscutablement en échec, puisque son objectif (non tenu) était de « réduire de 50 % l’utilisation des pesticides ».
Le député Dominique Potier (PS), spécialiste du sujet, avait d’ailleurs présenté le 14 décembre un rapport sur le sujet, devant la commission d’enquête parlementaire. Il y avait notamment annoncé son souhait d’utiliser le HRI-1 en lieu et place du Nodu. Il avait également annoncé la fin du SUR, le règlement européen sur les pesticides en projet à Bruxelles, rejeté par les députés en décembre.
Des annonces sans surprise
Autant dire que ni l’annonce du Gouvernement de suspendre Ecophyto jusqu’au SIA, ni l’annonce de Bruxelles ce 6 février de mettre un terme au SUR ne sont des surprises pour ceux qui suivent l’actualité des pesticides. Ecophyto comme le SUR étaient condamnés, l’un par son échec patent, l’autre par le rejet des députés européens.
Mais là non plus il ne faut pas s’attendre à une révolution dans le labyrinthe administratif européen. D’âpres batailles auront lieu à Bruxelles si l’on décide de s’attaquer à un indicateur harmonisé. Avec le HRI-1 par exemple, la France ne s’en tire pas trop mal (baisse de 31 % en dix ans). L’Autriche, au contraire, a aggravé son score de 18 % sur la même période. Une des raisons : le cuivre, beaucoup utilisé en agriculture biologique, a un mauvais profil environnemental. Pas simple.