En matière de valeur ajoutée, c'est celui qui met en vente qui s'arroge la part du lion. A l'occasion de l'assemblée générale de Terre comtoise, Olivier Mevel, transfuge de la grande distribution, a donné quelques clés d'adaptation aux participants, dans un contexte d'inflation et de tyrannie consumériste.
Enseignant-chercheur à l’université de Bretagne occidentale, après être "passé chez les bleus" (traduisez, travaillé pour Leclerc), Olivier Mevel a emmené les participants à l'AG de Terre Comtoise "en voyage". Son intervention, intitulée « Consommation, distribution et création de valeurs par les agriculteurs » pouvait rappeler « un peu les montagnes russes. Sous le signe de la stagflation, les taux d'intérêt commencent à remonter doucement et on commence à avoir un effet d’éviction des demandeurs de prêt, aussi bien pour les entrepreneurs que pour les particuliers. Ça fait longtemps qu’on dé-consomme. La tendance est baissière : 92% du PIB en France c’est du service. Le seul moteur c’est la consommation, et là on encaisse le choc de la hausse des matières premières. » Graphiques à l'appui, Olivier Mevel a illustré la puissance de ce choc : entre octobre 2021 et 2022, la consommation alimentaire a baissé de 7,5%. Tandis que la consommation globale reculait de 6%.
« Les Français s’adaptent. 2018 et 2019 nous inquiétaient déjà par le craquement en valeur dans la GMS. Et dans cette succession de chocs encore jamais vue. C’est le moment d’avancer ses pions. Est-ce que le modèle des filières n’est pas obsolète ? » Dans un autre graphique, l'enseignant illustre visuellement comment la valeur ajoutée est de plus en plus concentrée sur le dernier maillon de la chaine. « En 20 ans, sur 100 € d’achats alimentaires, la part qui revient aux producteur est passée de 11,5 à 6,3 € » constate-t-il, avant d'encourager les agriculteurs - et leur coopérative à investir dans la distribution de leurs produits.
Le bon moment pour changer de modèle
« Le commerce s’arroge la part du lion : plus de 32,5% de la valeur ajoutée, et c’est vrai aussi bien pour Buffalo-grill qu’E.Leclerc. C’est la mise en vente finale qui permet de gagner le plus ! » Pour l’économiste cet état de fait est le produit d’un rapport de force asymétrique. « 370 000 exploitations, dont 47 000 en bio dépendent de 30 multinationales de l’agroalimentaire et quatre super centrales d’achat dotées de 45 000 points de vente desservent 67,2 millions de clients. En économie on appelle ça un oligopole bilatéral… c’est un système qui permet de gagner à tous les coups, de s’accaparer les marges par tous les procédés. »
Les limites des lois Egalim
Cette structuration particulière du marché explique aussi les limites des lois Egalim. Mais le paysage, dominé par le tyran Leclerc, grand vainqueur de la guerre des prix qu’il a déclenchée, est en train de se restructurer. « Lidl croit à une telle vitesse qu’il inquiète tout le monde et de l’autre côté l’enseigne Grand frais capte les ‘’CSP+’’ auxquels elle vend les produits à forte valeur ajoutée et marqueurs de l’aisance économique : fromages, fruits et légumes, poissonnerie... » Un évènement souterrain, méconnu en milieu rural, vient affaiblir la distribution : l’essor de la restauration hors-foyer et de la livraison à domicile de plats cuisinés, préparés par des start-ups qui s’appuient sur des ‘’dark kitchens’’. « Les jeunes ménages ne font plus à manger, ils se font livrer. Delivero, solution de repas à domicile a atteint en 4 ans le chiffre d’affaires des ''drive'' des GMS ! »
Fragmentation des modèles de consommation alimentaire
« La consommation se fragmente pour assouvir un besoin de réassurance, poursuit le spécialiste. La logique santé prend le pas sur la logique diététique. La France n’est plus le pays des trois repas quotidiens : moins d’entrées, de fromages, de desserts, d’invités. J’explique à mes étudiant que payer 11 € un cheese burger de 120 g, c’est quand même 100 € du kg ! Une pizza domino, c’est 70 € le kg, sans un seul ingrédient français. En restauration hors-foyer la junkfood explose sous l’effet de l’américanisation des habitudes de vie. » L’affaiblissement de la grande distribution peut constituer une chance à saisir pour l’agriculture française. « La transition alimentaire redéfinit l’appréciation de la qualité : la santé, la nutrition, l’environnement, la valeur culturelle et la responsabilité sociale (RSE) montent en puissance… » Sans oublier le principe de réalité « un marché, ça ne se décrète pas ! Les producteurs bios en font l’amère expérience aujourd’hui. Communiquer ne fera pas repartir le marché, c’est un coup d’épée dans l’eau. Le marché bio a une taille, c’est 6,9% de l’alimentation, et pas 25% comme le veut Ursula van der Leien. » Et le local ? « Il aura aussi son heure de vérité et sa lune de miel. Développer des gammes locales nécessite de respecter une équation : la valeur perçue est supérieure au prix de vente. » En 2023, les critères d’achat en matière de consommation évoluent sous l’effet de la crise économique et de l’inflation. « n°1, le prix, suivi des marques collectives régionales. C’est la proposition de valeur la plus simple. En troisième place, la préservation de l’environnement (un critère qui va rester en tête pendant plusieurs années), et ensuite les questions de santé (sans additifs, sans conservateur, sans OGM, sans protéines animales). Aux Etats-Unis le marché vegan des produits hyper-transformés est en train de s’effondrer. En cinquième, la transformation digitale des modes de consommation, et en sixième point, le bien-être animal, qui signe l’émergence de la ‘’morale’’ dans l’acte de consommation. Enfin, en septième position, l’équité, avec la conscience sociétale que tous les maillons doivent être justement rétribués. »