Si du point de vue du cédant le bâtiment d’élevage représente un capital à valoriser, à hauteur des investissements de toute une vie, une surévaluation de cet immeuble pénalise l’installation et favorise les logiques d’agrandissement, selon la SAFER.
A l’occasion du Sommet de l’élevage, le 7 octobre dernier, la FNSAFER organisait une conférence sur le thème de la transmission des bâtiments d’élevage, au cœur du sujet de l’installation. « Avec un volume de près de 6 000 rétrocessions au cours des huit dernières années (45 000 ha par an), la SAFER est un bon observatoire des tendances dans le domaine de l’installation », introduit Emmanuel Hyest, le président de la FNSAFER. Or la société d’aménagement foncier s’inquiète justement de la baisse du nombre d’installation en élevage, tandis que la démographie des chefs d’exploitation prévoit le départ en retraite d’un tiers d’entre eux d’ici 2030… Des propos corroborés par Gilbert Guignant, président des Chambres d’agriculture AURA « oui, il y a des difficultés à installer en élevage, notamment les hors-cadre familiaux, qui ont davantage de difficultés à accéder au parcellaire que les successeurs familiaux, et on sait que le foncier est un facteur décisif dans le modèle économique d’une exploitation agricole. Il faut que nous trouvions des solutions pour que ça ne soit plus un blocage. Le fait que ce soit le cédant qui doive faire un effort pour favoriser l’installation pose un vrai problème. »
Un ‘’recyclage’’ impossible
Comme l’a souligné Cyril Letadic, président de la Confédération des experts fonciers « autant les anciens corps de fermes, en belles pierres et poutres, pouvaient être transformés en maisons d’habitation, logements ou gîtes ruraux… autant les bâtiments d’élevage récents : caillebotis, murs d’agglos et charpentes métalliques, ne sont pas adaptés à d’autres utilisations ! Ils n’ont de valeur qu’à condition de conserver leur destination initiale, et quand nous les évaluons, nous précisons bien que leur valeur tient à leur fonction, au fait qu’ils conservent leur destination initiale, pour un cheptel identique, avec une surface accessible… sinon ils ne valent plus rien. » L’expert pointe aussi l’envolée du coût des matériaux de construction, qui fait mécaniquement augmenter la valeur à neuf des bâtiments d’élevage. « On arrive à des prix qui ne permettent pas la reprennabilité. La valeur économique est différente de la valeur patrimoniale. » Emmanuel Hyest va plus loin « S’il sort de la filière agricole, le bâtiment d’élevage a même une valeur négative, celle du coût de sa destruction ! Il est impératif de trouver un juste milieu entre brader son bâtiment et le surévaluer » Au cours des huit dernières années, le prix des bâtiments d’élevage a progressé de 30%, passant de 200 à 260 000 €, selon la FNSAFER, tandis que les surfaces transmises diminuaient. « ça pose question, poursuit le président de l’organisme, la question de leur rentabilité ! Est-ce qu’il faut faire porter ce fardeau à ceux qui s’installent ? Beaucoup de ces bâtiments ont bénéficié d’aides publiques, dans le cadre des mises aux normes, des plans de modernisation… est-ce qu’il ne faudrait pas intégrer cette dimension, ainsi que la notion d’amortissement, mais aussi la fiscalité, dans une réflexion collective ? » Gilbert Guignant s’inquiète pour sa part du devenir des bâtiments délaissés. « On a fait disparaître les épaves de voitures de nos campagnes… faudra-t-il gérer les épaves de bâtiments agricoles ? »
Un fond friches, comme dans l’industrie
Les responsables professionnels ont d’ailleurs évoqué le « fond friches », un dispositif qui existe dans le monde industriel et qui permet de couvrir les coûts de démantèlement des bâtiments qui n’ont plus d’utilité… « Si on veut installer de manière fluide, il faut se poser la question, poursuit Gilbert Guignant. La rénovation d’un bâtiment vétuste peut coûter plus cher que de construire à neuf. » Pour Emmanuel Hyest, la surévaluation des bâtiments d’élevage et la fiscalité favorisent l’agrandissement, au détriment de l’installation, car des exploitants déjà en place peuvent assumer ce surcoût, même à perte, pour accéder aux terres attenantes. « Le jeune agriculteur, lui, doit faire la preuve de la viabilité de son projet. »