Depuis 2003, plus de 200 familles franc-comtoises, dont 94 avec une activité d’élevage, participent à l’étude Pature. Pature pour Protection contre l’Allergie, éTude du milieu Rural et de son Environnement a mis en évidence le lien entre alimentation, environnement et allergies. Ainsi, les enfants, sujets de l’étude, en contact régulier avec la ferme parentale et qui consomment du lait ou du fromage sont moins exposés au risque allergique que leurs congénères.
“Cette vaste étude a été permise grâce à l’engagement des familles sur qui nous avons pu compter depuis 20 ans. Grâce aussi à l’implication de la MSA de Franche-Comté qui dès le départ a été convaincue de l’intérêt du projet. Sans elle, nous n’aurions pas eu accès aux familles d’agriculteurs et aux familles évoluant en milieu rural. Ce partenariat est précieux” précise Marie-Laure Dalphin, pneumologue pédiatrique et intervenante de la restitution de l’étude Pature. Dans l’amphithéâtre du bâtiment Bio-innovation, non loin de la faculté de médecine, le 16 juin au matin, la pneumologue pédiatrique attachée au CHU de Besançon et ses collègues, Dominique-Angèle Vuitton, professeur émérite d’immunologie, et Amandine Divaret-Chauveau, pédiatre-allergologue au CHU de Nancy, restituent les derniers résultats scientifiques de Pature devant une quarantaine de familles et d’universitaires, parties prenantes de l’étude.
Chiffres alarmants
Si les allergies concernent majoritairement les habitants des pays occidentaux, c’est surtout leur augmentation qui inquiète. « Avant la seconde Guerre mondiale, moins de 5 % de la population souffraient d’allergies. Aujourd’hui, nous sommes à 30-35 % et à l’horizon 2050 c’est une personne sur deux qui sera allergique » souligne Dominique-Angèle Vuitton. Avec le même cheminement, les allergies s’installent. D’abord de l’eczéma chez le jeune enfant puis des bronchites à répétition qui évoluent vers l’asthme, apparaissent ensuite des rhinites allergiques qui vont ouvrir la voie aux allergies. Face à ce développement, principalement dans les pays occidentaux, les chercheurs et médecins ont posé plusieurs hypothèses. L’hygiénisation et la pollution ont d’abord été mises en cause. Mais le mécanisme des allergies est beaucoup plus complexe. « C’est le mode de vie plutôt que la surhygiénisation ou l’exposition à la pollution qui sont aujourd’hui privilégiées pour expliquer le risque allergique. Disons que la diminution des maladies infectieuses, la baisse de l’exposition aux microbes, les modifications de régimes alimentaires favorisent les allergies » poursuit l’immunologue.
Et pour ne pas brouiller le message, la pédiatre-allergologue de Nancy insiste : « Attention, il ne s’agit pas de remettre en cause les mesures d’hygiène qui ont conduit à la réduction des maladies parfois fatales. Tout comme le vaccin d’ailleurs qui a vu l’éradication de maladies graves. On peut mourir d’une rougeole, ne l’oublions pas ! Avec Pature, nous sommes capables d’évaluer les risques mais nous sommes surtout capables d’identifier quelques facteurs de protection » se réjouit la spécialiste nancéienne. Si l’identification de facteurs de protection est cruciale dans la lutte contre ce fléau que sont les allergies, c’est en partie grâce aux familles franc-comtoises. « La participation active et réactive de nos familles franc-comtoises nous a poussés à faire des examens sur le portage microbien et la sensibilité allergique. C’est la particularité de cette cohorte. Nous sommes les seuls (d’autres pays ont participé à l’étude, Suisse, Allemagne, Autriche) à avoir réalisé des prélèvements et des tests sur les sujets. A 1 an, 4 ans, 6 ans, 16 ans et 18 ans, prélèvements sanguins ou tests cutanés ont été faits. Tout est conservé. Cela nous permettra de conduire de nouvelles investigations lorsque nous disposerons de nouvelles technologies » explique Marie-Laure Dalphin.
Les facteurs protecteurs
Le chiffre est édifiant et en fait la première méthode de prévention. « Manger des yaourts, du beurre ou boire du lait avant la fin de sa première année de vie diminue de 60 % les risques d’allergie » annonce Amandine Divaret-Chauveau. S’ajoutent favorablement à une protection accrue, la durée d’exposition à l’étable, au moins 2 heures hebdomadaires avant 4 ans
et l’apport d’une diversité dans l’alimentation. L’exact inverse de ce que les spécialistes préconisaient il y a 20 ans. « Le lait cru protège encore plus des risques de dermatite, d’eczéma et d’asthme, ce dernier reste la première maladie infantile. L’étude Pature permet aussi de constater que les enfants qui ont une alimentation diversifiée assez tôt sont mieux protégés. Nous parlons d’aliments les moins transformés possibles. Là encore, les enfants qui vivent à la ferme sont mieux servis que les autres » insiste la pédiatre allergologue.
Consommer des aliments les moins transformés possibles, du lait, des fromages, des yaourts ont un impact direct sur la qualité du microbiote intestinal, lui-même pièce maîtresse du bon fonctionnement du système immunitaire. L’alimentation du cheptel laitier a aussi été auscultée. Des fourrages secs et du pâturage, naturellement riches en oméga 3, permettent la production d’un lait et de fromages plus protecteurs contre les allergies. « Pourquoi les préconisations sur l’alimentation infantile sont à l’inverse de ce que vous nous expliquez ? » interpelle alors un producteur de lait AOP, originaire du Jura et dont les enfants refusent de donner du lait cru aux petits-enfants. « C’est difficile de communiquer autour de la nutrition. Chacun a ses prérogatives. Il faut dire qu’il y a 20 ans, on disait l’inverse. Aujourd’hui, les risques autour de la consommation du lait cru sont la plupart du temps maîtrisés mais nous sommes encore sur des considérations. Faire suçoter un morceau de comté ou un autre fromage à pâte pressée cuite, c’est bienfaiteur. En plus, ces fromages ont une texture facile pour les petits… et surtout faire manger des yaourts… c’est un autre travail qui commence, celui de l’information sur la base de constat scientifique » conclut Amandine Divaret-Chauveau. Un changement de paradigme, jamais facile, puisqu’il nécessite une remise en cause des pratiques.
Témoignage : Anaïs, sujet de l’étude
A l’heure où Anaïs Louison prépare les oraux de première année de médecine, elle a souhaité participer à la restitution de l’étude Pature (Protection contre l’Allergie, éTude du milieu Rural et de son Environnement) ce vendredi 16 juin au matin. La jeune femme est engagée depuis plus de 18 ans dans l’expérience.
Accompagnée de son père, Bruno, agriculteur à Glainans et producteur de lait AOP comté, Anaïs Louison fait partie de la cohorte des 203 sujets franc-comtois, dont 94 enfants d’agriculteurs, examinés régulièrement depuis leur naissance. L’étude a démarré il y a 20 ans. Anaïs a participé aux différents tests, prélèvements et questionnaires qui font de Pature un travail de recherche inédit et de solides références pour la communauté scientifique.
« Je ne me souviens pas de tout. De quelques piqûres peut-être » confie dans un sourire Anaïs pour qui l’étude a commencé avant même qu’elle naisse. « Les premiers prélèvements sanguins ont eu lieu sur ma mère alors qu’elle était enceinte » souligne la jeune femme. « C’est vrai qu’il y a longtemps qu’Anaïs est impliquée. Je me rappelle l’avoir tenue sur moi lorsque le médecin testait sur sa peau les réactions à différents allergènes » confie son père.
Investissement des familles
Si les tests sanguins ou allergènes ont induit des voyages sur Besançon, c’est surtout un investissement en temps exigé aux familles. Celles-ci ont réalisé des prélèvements de poussières au sein du foyer. Poussières, au sol dans les espaces où l’enfant passait de longs moments, sur le matelas du sujet étudié, qui étaient récoltées via un filtre apposé sur l’aspirateur. Le tout était envoyé dans un temps imparti au laboratoire. L’étude a aussi nécessité l’envoi d’échantillons de lait identiques à celui bu par l’enfant ou encore le remplissage de questionnaires parfois assez fastidieux sur l’hygiène de vie, l’alimentation, le sommeil, la fratrie, les maladies… Autant de preuves, précieusement conservées qui disent tous les bienfaits du lait cru, de la ferme et des animaux qui y vivent. « Les précédents résultats allaient déjà dans ce sens. Entendre de la bouche d’allergologues, de pneumologues que la consommation de lait, qui plus est de lait cru, diminue le risque d’allergie, c’est étonnant. En tant que professionnel, on sait bien que le lait est une des denrées alimentaires les plus surveillées. Si le risque 0 n’existe pas, on est loin de se douter qu’il possède des vertus pour lutter contre les allergies. Savoir que sa consommation régulière, y compris sous forme de fromage, constitue une lutte contre le développement des allergies est une bonne nouvelle » conclut Bruno. Quant à Anaïs, elle poursuivra sa participation aux travaux de recherches des chercheurs. Il s’agit cette fois d’évaluer les activités physiques et la qualité du sommeil toujours en lien avec la santé respiratoire.