Établis il y a 150 ans tout au long de la Saône, les ouvrages de régulation ont été conçus pour maintenir un niveau d’eau compatible avec la navigation fluviale. Si ces équipements ont évolué techniquement en s’automatisant, ils n’ont ni la vocation, ni la capacité de protéger des crues.
La Saône et ses méandres ont beau faire partie du paysage, l’appréhension du fonctionnement de ce cours d’eau n’a rien d’évident. « Moi-même, avant d’intégrer Voies Navigables de France, je ne savais pas du tout comment ça marchait, alors que j’ai grandi ici ! », lance Thomas Demoly, responsable d’unité territoriale d’itinéraire dans cet établissement public, qui gère environ 80% du réseau des voies navigables françaises. On a du mal, notamment, à envisager la rivière comme une succession de plans d’eau… « Pourtant c’est la réalité : les ouvrages construits au XIXème siècle pour permettre la navigation des chalands et des bateaux à vapeur - soit 19 écluses disposées entre Corre et Saint-Jean de Losne sur 159 km – sont conçus pour retenir l’eau… en période de basses-eaux. S’ils n’étaient pas là, neuf mois sur 12 la Saône ne serait pas navigable, et parfois réduite à un simple ruisseau en été ! »
Une section fluviale très automatisée
L’abandon du projet d’aménagement du canal Rhin-Rhône, qui prévoyait de renforcer les possibilités de fret fluvial, a libéré des crédits pour la modernisation du fonctionnement de ces écluses. « A partir de la fin des années 80, les écluses à aiguilles, qui étaient gérées manuellement par des éclusiers, ont été remplacées par des ouvrages automatisés, à la fois plus sûrs et plus précis. Ce sont des clapets manœuvrés par des vérins hydrauliques qui ajustent le débit en fonction du niveau d’eau mesuré en permanence par des sondes. » Techniquement parlant, si le niveau d’eau augmente, par exemple par suite de pluies ou de la fonte des neiges, le système de pilotage automatisé commande l’abaissement du clapet, ce qui va augmenter le débit vers l’aval. A contrario, en période d'étiage (basses-eaux), la fermeture des clapets permet de ‘’garder’’ l’eau à un niveau compatible avec la navigation. Une eau qui soutient les nappes phréatiques et permet aussi d’autres usages que la navigation, tels que la vie aquatique, le pompage pour l’abreuvement des animaux, ou la dilution des eaux usées.
En cas de crue, le barrage s’efface progressivement
En aucun cas ces barrages de navigation n’ont été prévus pour écrêter les crues ou stocker de l’eau préventivement à une crue en aval, comme c’est le cas d’autres ouvrages – les barrages réservoirs construits dans des zones où le relief le permet. « La Saône est une rivière à très faible pente : entre Corre et Lyon, elle perd seulement 30 mètres de dénivelé sur une distance 400 km ! » Ces caractéristiques topologiques permettent de mieux comprendre les crues parfois spectaculaires qui surviennent en terrain plat, quand le lit naturel du cours d’eau ne suffit plus à l’écoulement. Ainsi que le côté illusoire de toute volonté de retenir une crue avec les ouvrages d’art, qui semblent de bien dérisoires obstacles au débit décuplé, pour peu qu’on prenne un peu de hauteur. « En cas de crue, le barrage s’efface progressivement, il finit par être complètement neutre d’un point de vue hydraulique », précise Thomas Demoly, en s’appuyant sur l’exemple concret de la dernière crue en date, avec les données enregistrées à Saint Albin. « Entre lundi 7 octobre 2024 à 14h et mardi à 5 h du matin (soit 17h plus tard, tous les clapets de l’écluse se sont progressivement abaissés pour laisser passer l’excès d’eau. Le pic de la crue a été atteint mercredi à 20h. »