
Les Assises nationales de l'agrivoltaïsme, le 13 février dernier à Dijon, ont fait une large place au contexte dans lesquels se montent - et souvent, se débattent- les projets : risques de sur-normalisation, saturation de certaines infrastructures, durée d'instruction des dossiers, acceptation des riverains, et bien entendu, partage du risque et de la valeur ajoutée !
Non, tout n'est pas rose au royaume de l'agrivoltaïsme ! Même si un texte de contrôle et de suivi des pratiques a été adopté en 2024, fournissant un cadre juridique à cette activité, bien des choses restent à ajuster. C'est ce qui ressortait des échanges tenus lors des Assises nationales de l'agrivoltaïsme, organisées à Dijon le 13 février par la Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA). Le secteur donne l'impression d'être à la croisée des chemins, entre opportunités réelles et craintes liées à un projet de loi prévoyant une limitation de la puissance de ces installations (voir encadré). Le malaise était résumé dans l'intitulé de la table-ronde ouvrant l'évènement : « Remettre le bon sens agricole au cœur des projets agrivoltaïques ». Celui-ci aurait-il été perdu ? Le contexte dans lequel certains projets doivent s'intégrer inquiète Jean-Philippe Delacre : cet agriculteurs côte-d'orien, connu pour le démonstrateur agrivoltaïque installé sur une de ses parcelles par Total Energies renouvelables, à Channay, porte aujourd'hui un nouveau projet en collectif, avec huit autres agriculteurs, sur des terres très superficielles : « Il risque de se passer avec les énergies ce qui se passe avec l'agroalimentaire, déplorait-il : la surnormalisation va conduire à l'importation de choses produites ailleurs, en l'occurrence, de l'énergie. Les normes françaises n'existent pas dans d'autres pays avec lesquels on est interconnectés... Ce serait quand même un comble de devoir acheter notre énergie décarbonée chez nos voisins comme l'Espagne, un pays qui a pris ce train. » Le projet dans lequel il est impliqué fait l'objet d'un refus auprès de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNAF). « Je ne suis pas découragé mais je me pose des questions... » convient-il.
Maintenir une indispensable compétitivité
Pour Christian Courtier, agriculteur en Haute-Marne, la menace tient aussi au fait que les developpeurs solaires prennent beaucoup de risques mais face à une compétitivité décroissante ou incertaine, ils pourraient faire machine arrière. « Il y a, par exemple, la nécessité de développer des postes source, car ceux qui existent arrivent à saturation » soulignait-il. L'autre grand problème, c'est le temps nécessaire pour faire aboutir les projets. « J'ai personnellement un projet qui est en attente depuis cinq ans ! » Un projet porteur de valeur ajoutée avec le développement d'une production de petits fruits et de raisin de table, couplé à de l'élevage ovin. Il était rejoint par un autre agriculteur de Haute-Marne, Jean-Philippe Froissard : « nous, on dispose d'un branchement et pourtant les choses n'avancent pas aux rythme où elles devraient, alors que l'agrivoltaïsme peut nous fournir un levier pour soutenir nos exploitations. » C'est d'autant plus regrettable que cet exploitant envisage son projet sur des terres très superficielles, qu'il l'a co-construit avec les habitants de son territoire et qu'il se traduirait par l'implantation de 3 km de haies. « Chez nous, poursuivait-il, c'est le projet agricole qui a déterminé la taille du projet agrivoltaïque et pas l'inverse. Cela doit permettre de pérenniser de l'élevage sur une exploitation et d'être viable économiquement. »
Partage de la valeur
Dans ce contexte incertain, la question du partage de la valeur de la production énergétique était différemment abordée par les intervenants. « Pour partager la valeur, remarquait Jean-Philippe Froissard, il faut être sûr qu'il y en aura ». Une remarque qui posait en creux la question de la préservation de la rentabilité de ces projets. « Avant de parler de partage, parlons compétitivité, renchérissait Christian Courtier. Il faut faire les choses dans l'ordre, soyons pragmatiques, apportons de la valeur ajoutée. Le partage de la valeur n'est pas la priorité. » Le mot de la fin revenait à Jean-Philippe Delacre qui réalisait la synthèse entre l'acceptation sociétale des projets et la valeur potentielle dont ils sont porteurs à l'échelon de territoires ruraux : « le partage de la valeur est une question complexe, mais je constate une chose : la population de mon village m'interpelle aujourd'hui parce qu'elle ne comprend pas que nos projets n'aboutissent pas. Elle se demande ce que nous faisons ! »
La FFPA opposée à une limitation des puissances installées
A l’occasion de ces Assises nationales la FFPA (producteurs agrivoltaïques) s’est opposée à une limitation de la puissance des centrales. La fédération critique la proposition de loi transpartisane, déposée le 13 février par le député Pascal Lecamp (Les Démocrates, Vienne), qui prévoit au maximum 5 mégawatts-crète par installation. Selon elle, « la limitation de puissance des projets empêche un développement intelligent de l’agrivoltaïsme. En l’état, seules de petites installations près des postes sources seraient possibles sans intérêt agronomique ni rentabilité pour les agriculteurs et les développeurs ». Autre inquiétude suscitée : la mise en place d’un fonds de redistribution territorial. Une telle mesure « compromet la viabilité économique des projets en alourdissant encore leur fiscalité ». Enfin, la FFPA conteste le volet du texte sur la sécurisation juridique des contrats entre propriétaires, fermiers et énergéticiens. Le nouveau type de convention-cadre, figurant dans la proposition de loi, est « déconnecté de la réalité du terrain, ajoutant une couche réglementaire à un cadre législatif déjà complet et opérationnel ».