Le 14 mai au lycée de Fontaines, l’Afdi BFC (Agriculteurs français et développement international de Bourgogne-Franche-Comté) tenait son assemblée générale pour faire le point sur ses activités. Plus que du bénévolat, de véritables missions de service public profitant à tous.
« La cause et les valeurs que vous défendez sont aussi les nôtres, surtout à l’heure du repli sur soi », accueillait le directeur de l’EPL Sud Bourgogne, Pierre Botheron qui participe d’ailleurs à la coopération internationale. Malgré une forte sensibilisation, avec des bénévoles faisant le tour des établissements scolaires agricoles et des organisations professionnelles, l’Afdi BFC reste méconnue, regrette son président, Marc Gauthier. Ce n’est pourtant pas faute de se démener. Pour le trésorier, Marcel Cottin, s’il devait valoriser le temps passé par les bénévoles –en réunions, en missions à l’étranger, en accueillant des étrangers, en formations…– cette « riche vie associative » aurait rapporté 87.000 € en 2023 comme en 2022. De l’argent qui est bien plus rentable en réalité que ces déjà impressionnantes 489 journées d’activités bénévoles. « Ce sont des paysans qui parlent à des paysans. Une relation de compagnonnage entre agriculteurs français et africains avec une même passion, avec les yeux qui brillent, avec des projets… des passerelles créent entre villages pour s’apporter mutuellement pour de meilleurs projets de vie », voyait au-delà des frontières et des différences, Bernard Lacour, président de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire qui sait que la paix de « notre village mondial » passe par l’ouverture d’esprit. Encore faut-il se comprendre et se respecter ?
Si loin et pourtant plus proches
À commencer par remettre en cause nos idées reçues. D’où des formations au Nord à l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ECSI). En somme, comme l’avait étudié l’anthropologue Claude Levis-Strauss (Race et Histoire, 1952), les valeurs locales sont propres à chaque société et la modernité ou la richesse peuvent se mesurer différemment selon les coutumes. L’animatrice de l’Afdi BFC, Grâce Joffre intervient pour « planter des petites graines dans les cerveaux » des futurs agriculteurs de la région dans l’espoir de leur ouvrir l’esprit tout au long de leur carrière pour voir l’internationale comme une chance. En 2023, l’Afdi a ainsi réalisé 12 interventions scolaires, soit 269 élèves sensibilisés. Cela passe surtout par l’accueil de missions de partenaires. La Saône-et-Loire a des partenariats au Tchad et à Madagascar. Chaque département noue ses propres partenariats avec des OP, organisations paysannes, de pays qu’il a envie d’aider et inversement. Les bénévoles de l’Afdi vont aussi à la rencontre des élus des organisations professionnelles de BFC pour justement « initier des opérations afin de travailler ensemble main dans la main », comme avec les chambres d’agriculture, le syndicalisme ou encore Groupama parmi d’autres exemples.
Car finalement, il y a plus de points communs entre deux paysans qu’entre un agriculteur et un urbain parfois, sous-entendait sans méchanceté, Pierre Bothéron qui, au lycée réputé de Fontaines pourtant, peine à recruter dans les familles chalonnaises avoisinantes.
La Draaf en renfort
Marc Gauthier avait convié Marie-Catherine Arbellot, de la Draaf BFC (direction régionale de l’agriculture) pour proposer à l’assemblée générale de voir un représentant de la Draaf « rentrer » au conseil d’administration. De quoi potentiellement représenter et toucher près de 10.000 jeunes scolarisés en établissements publics et privés : catholiques, laïcs, MFR… auxquels se rajoutent 4.000 apprentis et un million d’heures de formations pour adultes. « Cela fait du monde, c’est rassurant même si on aimerait plus », expliquait la cheffe de service qui a pour priorité le renouvellement des générations agricoles, mais aussi para-agricoles (industries agroalimentaires, forestiers, vétérinaires…). Outre la gestion des formations, des bourses, des examens… la Draaf a pour mission de développer des partenariats avec « l’étranger », s’entendant hors France, pour permettre aux BTS de faire des stages et suivre des cours dans d’autres pays européens ou tiers « pour une troisième année à l’international ». Un programme Erasmus est même déposé, en attente de validation, pour les BTS agricoles de la région. Également à savoir, un consortium s’est noué entre le Maroc et la région sur les questions de transformations alimentaires des produits fermiers et commercialisation en circuit court. Malgré des populations africaines comptant encore beaucoup de paysans, les pays n’ont pas forcément de formations agricoles structurées. Marie-Catherine Arbellot se charge donc d’écrire et proposer des référentiels de formation en agronomie pour les écoles agricoles du Burkina Fasso par exemple.
Gare aux (fragiles) équilibres
De quoi être complémentaire. L’Afdi accompagne par la suite des organisations paysannes dans leurs projets « pour les accompagner vers l’autonomie technique et financière », expliquait Étienne Degay. Les équipes de l’Afdi proposent alors aux paysans africains leur aide sur la commercialisation, l’installation des jeunes, l’inclusivité et l’appui aux femmes, sur la qualité des produits… mais surtout sur « l’égalité dans la Gouvernance », insiste l’agriculteur du Jura, qui comme les autres membres de l’Afdi fait un « suivi au long cours » des activités réalisées. Des rapports synthétisés par les animateurs qui permettent de rendre compte aux financeurs publics (Agence France développement…) ou privés (négoce Bresson ; Fromagerie Milleret…).
Gare toutefois à ne pas vouloir aller trop vite. Les équilibres locaux sont fragiles. Thierry Desvaux témoignait à propos de la gouvernance du Cram Fianarantsoa, à Madagascar, qui a presque “trop bien” réussi. L’Afdi BFC accompagne 139 paysans adhérant au Cram Fianarantsoa, depuis sa création en 1996, sur la production de riz. Avec le développement du volet multiplication de semences, « ils se sont spécialisés presque à outrance, mettant à l’écart certains producteurs », alerte ce céréalier de l’Yonne. Productivité, rentabilité… peuvent « exclure » ceux ne suivant, ne pouvant ou ne voulant pas être semenciers. L’Afdi leur a donc proposé de revoir le règlement intérieur pour intégrer les autres producteurs moins spécialisés. Désormais, une vingtaine de semenciers sont regroupés au sein de la coopérative avec les producteurs de riz –appelés « non-semenciers »– qui eux développent des légumineuses (arachides, pomme de terre…). Si une entente a pu être trouvée, peut-être est-ce aussi en raison de la forte présence de femmes « dynamiques dans une gouvernance inclusive » avec les hommes.
Devenir autonome en nouveaux légumes
L’occasion toutefois pour Joseph Roux, agriculteur dans l’Yonne et président de l’Afdi au national pour Madagascar, de parler du projet Piscca, qui va avec l’OP VFTM Fianarantsoa multiproduction, « à vocation plutôt syndicale au départ qui cherchait des activités rémunératrices ». Le projet Piscca a bénéficié à 12 femmes sur les 15 présentes au conseil d’administration. Elles se sont formées au maraîchage mais aussi à la gestion collective de pépinières sur cinq communes. 93 tonnes de légumes ont été produits dès cette première année. « Pas négligeable lorsqu’on sait qu’une famille a besoin de 150 kg pour être autonome », les félicitaient-elles. Le tout a été complété par des formations sur la nutrition « pour changer du seul riz ». Carotte, choux chinois, courgette, concombre… 24 légumes « peu habituels » sont rentrés dans l’alimentation des familles. La récolte de crédits au sein d’un groupe –tontine– a permis de mettre en place la vente des surplus au profit du collectif. De quoi enclencher d’autres projets dans une boucle vertueuse. C’est ça l’Afdi BFC.
L’Afdi a besoin de bénévoles, dons et mécènes
Lorsque le gouvernement a annoncé des coupes budgétaires, face au déficit des comptes publics, des baisses de dotation de l’Agence française de développement, où du côté de la Région BFC, vont impacter le budget de l’Afdi. « On arrive tant bien que mal à équilibrer les comptes », déplore Marc Gauthier qui en appelle à de nouveaux agriculteurs cotisants individuels, entreprises ou OPA. Les économies imposées lors de la crise sanitaire Covid, qui avait freiné les missions à l’étranger, ont été nécessaires pour équilibrer les comptes cette année. Les nouveaux partenariats au Togo ou les voyages d’études à Madagascar dépendent donc, comme les autres, de plus en plus des ventes de produits ou réalisation d’événements payants (repas solidaire…). « On a du mal aussi à mobiliser les filières Comté et Vins de Bourgogne » pour du mécénat salutaire. Contre-intuitif donc…
Toute ressemblance avec la France…
Il ne faut pas raconter d’histoire, tout ne se passe pas comme prévu lorsqu’on fait de l’entraide internationale. Denis Vermot, du Doubs, accompagne Conaprocam, une OP du Cameroun créée en 2002. Ce sont ainsi 1.500 cacaoculteurs répartis dans 14 coopératives qui cherchaient à exporter pour mieux valoriser leur cacao « idéalement en Europe pour mieux maîtriser les prix et leurs circuits de distribution, sans intermédiaire peu scrupuleux ». Toute ressemblance avec des situations françaises ne sont pas impossibles… Après plusieurs tentatives, 2023 semblait bien finir par aboutir. Le « problème » du financement pour constituer une trésorerie (90.000 €) et payer ainsi les producteurs dès livraison du cacao avait été trouvé via un intermédiaire bancaire suisse, qui avait un acheteur en plus. « Mais le marché mondial est devenu fou » et a atteint des sommets sur les bourses. Les prix locaux ont bondi de 1.000 à 4.000 francs. « Une bonne nouvelle pour les producteurs mieux payés » mais qui a sonné le glas de ce projet d’indépendance via l’export. Denis Vermot sait que l’histoire se répète et que les cours vont rechuter ou les charges augmenter. Les producteurs se retrouveront à nouveau acculés faute d’avoir pris leur destin en main. Mais il veut voir le verre à moitié plein : « reste le travail et les outils si l’occasion se représente ».