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L’agriculture dans le brouillard de la guerre

Le préfet Michel Vilbois, Mickaël Muhlematter président de la FDPL, Marie-Thérèse Bonneau présidente de FCCA, Emmanuel Aebischer président de la FDSEA et Justine Grangeot, présidente des JA
Le préfet Michel Vilbois, Mickaël Muhlematter président de la FDPL, Marie-Thérèse Bonneau présidente de FCCA, Emmanuel Aebischer président de la FDSEA et Justine Grangeot, présidente des JA

Faut-il craindre des ruptures d’approvisionnement en carburants, engrais, phytosanitaires, nourriture ? Ou bien croire en un dénouement rapide du conflit russo-ukrainien et à l’efficacité du plan de résilience que l’Etat va mettre en place ? L’AG de la FDSEA-FDPL a cristallisé le profond désarroi des agriculteurs du département…

Sur un air de « tout va très bien, madame la marquise », l’intervention du préfet Michel Vilbois, qui a conclu l’Assemblée générale de la FDSEA-FDPL le 16 mars dernier, a suscité un certain trouble parmi les participants. Il s’en est pris assez violemment et directement à Xavier Deparis, sous-directeur et responsable de la commercialisation des céréales de la coopérative Interval, mettant en doute son honnêteté, et, à mots couverts, son adhésion au bien-fondé des sanctions commerciales prises à l’encontre de la Russie. Xavier Deparis était en effet invité à brosser le tableau des conséquences du conflit russo-ukrainien pour l’agriculture haut-saônoise. Et le tableau était assez sombre, révélant, pour ceux qui l’ignoraient encore après la crise du covid, l’hyper-dépendance des pays occidentaux à l’égard de leurs fournisseurs d’énergies fossiles, d’engrais, de matières premières agricoles… Et l’agriculture française ne fait pas figure d’exception ! « Nous faisons face à de gros problèmes logistiques sur le bassin Mer Noire, dont les quatre principaux ports sont encerclés par l’armée Russe, et dont les infrastructures sont à l’arrêt. De toute façon aucun armateur n’envoie de bateau charger là-bas, faute d’assurance… Chaque jour de conflit recule la disponibilité des produits avec un risque de rupture d’approvisionnement. », a-t-il expliqué, se demandant quel serait le premier maillon de la chaîne de l’industrie de l’agro-fourniture à faire défaut.

Des problèmes climatiques en sus

De plus des problèmes climatiques dans d’autres régions du monde (sécheresse en Amérique du Nord et au Maroc) font peser une hypothèque sur la prochaine récolte, ce qui restreint les alternatives aux denrées agricoles d’Ukraine et de Russie. « Les récoltes de soja s’annoncent très moyennes au Brésil et en Argentine. » Autant d’informations catastrophiques qui nourrissent les fantasmes… et la spéculation boursière, avec des fonds de pension qui jouent à la baisse et à la hausse, plusieurs fois par jour, des millions de tonnes de céréales pas encore semées, sur les marchés à terme. Si le marché de Chicago dispose d’outils qui encadrent les fluctuations quotidiennes des cours, ce n’est pas le cas du MATIF (Marché international de France) dont les envolées actuelles sont « du jamais vu en 25 ans de métier ».

La production alimentaire doit redevenir centrale

Ce contexte tendu et incertain est l’occasion pour beaucoup de remettre en cause les orientations de plus en plus « environnementales » des politiques européennes des dernières décennies. « Farm to fork (de la ferme à la fourchette), c’est bien… mais à condition d’avoir quelque chose à mettre dans la fourchette » a laconiquement résumé Mickaël Muhlematter, le président de la FDPL. Jachères, suppression de matières actives, contraintes réglementaires, interdiction des OGM… est-ce bien sérieux quand les moyens de productions sont hors de prix et que la pénurie alimentaire devient une hypothèse plausible ? Si le préfet Michel Vilbois a assuré d’un ton patelin « l’agriculture de Haute-Saône va survivre et nous aussi », ce n’est pas certain pour tous les participants à l’AG. « Pour nous, il est schizophrène de demander aux agriculteurs de produire tout en faisant passer le GNR à 2€50 », a témoigné Virginie Bernard, l’assistante parlementaire du député Christophe Lejeune.

Un risque d’amnésie

Echaudés par l’expérience du covid-19, qui avait rendu – de manière éphémère – un intérêt pour la conservation d’une agriculture diversifiée sur le territoire, les responsables agricoles font désormais preuve de scepticisme. A l’instar de Guy Ciron, le président de la SDAE « je doute fort que nos décideurs se souviennent dans quelques mois, quand la paix sera revenue, de ce qui s’est passé dans les domaines de l’alimentation et de l’énergie ! » Même son de cloche du côté de Thierry Chalmin, le président de la Chambre d’agriculture, qui déclare sans trop oser espérer : « Si ce drame pouvait servir à ce que nos décideurs prennent conscience du caractère essentiel de l’alimentation… et remettre le rôle alimentaire de l’agriculture au centre du débat ! » Emmanuel Aebischer, le président de la FDSEA, a pour sa part établi un lien entre les trois fondamentaux de la souveraineté que sont la Défense, l’énergie, et l’alimentation. « L’Agriculture peut aider à atteindre ces objectifs, pour aider notre pays à rebondir et se recentrer sur ces trois grandes valeurs. Si la sécurité d’un pays passe par un renforcement de son budget Défense, elle doit passer aussi par le renforcement de la sécurité alimentaire. »