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Le mot de la semaine : viande !

« Étal de viande avec la Sainte Famille faisant l'aumône durant la Fuite en Égypte » un tableau de l'artiste néerlandais Pieter Aertsen, achevé en 1551.
« Étal de viande avec la Sainte Famille faisant l'aumône durant la Fuite en Égypte » un tableau de l'artiste néerlandais Pieter Aertsen, achevé en 1551.

Un mot qui évoque les fumets de ragoûts, de sauce au vin et les débats du dimanche… Avant de devenir ce synonyme de chair animale, la “viande” n’était pas forcément carnée. Aujourd'hui des ONG hostiles à l'élevage - sous couvert de préoccupations environnementales - soutenues par les industries du simili-carné, voudraient faire bouger juridiquement les lignes.

En ancien français, le terme viande dérive du latin vivenda, littéralement “ce qui sert à vivre”. La viande, c’était donc à l’origine toute nourriture, tout aliment qui faisait vivre l’homme — pain, légumes, fruits, poisson, voire nourritures spirituelles ou même divertissements ! On parlait ainsi de viande de poisson ou même de viande céleste. « C’est viande céleste manger à désjeuner des raisins avecq la fouace fraiche », écrit par exemple Rabelais dans son roman Gargantua en 1534. L’expression “abstinence de viande” pendant le Carême ne signifiait pas qu’on jeûnait, mais qu’on s’abstenait de chair animale.

Ce n’est qu’à partir du XVIIᵉ siècle que le sens de ce mot s’est resserré autour de la chair des bêtes, pour en arriver à ne plus désigner que les muscles parmi les tissus animaux. Sans doute parce que les habitudes culinaires ont changé : la table s’est diversifiée, la cuisine s’est codifiée, et les mots se sont spécialisés. Ironie du sort : aujourd’hui, certains voudraient en réélargir l’acception — parler de “steak végétal” ou de “viande cultivée” — tandis que de puissants lobbys donnent de la voix à Bruxelles pour continuer à réserver ce mot aux produits animaux.

Mais la viande n’est pas qu’une affaire de fourchette. Elle touche aussi à la chair, à la vie même, à ce qu’on est avant d’être repu. Le poète Mallarmé l’avait bien compris, dont voici les deux premiers vers de Brise Marine, paru en 1865 :

« La viande est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.

Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres »

Ici, la viande n’est plus un aliment mais un corps fatigué, las de vivre et de lire. Un mot de table devenu mot d’âme, où la satiété embrasse la mélancolie. Et parce que la langue française aime jouer des glissades, la viande s’est aussi mise à tomber : “se viander”, dans le registre familier, signifie chuter. Le cycliste qui s’écorche en tombant “s’est viandé”, autrement dit s’est transformé en tas de chair sur le bitume. La métaphore est triviale mais limpide : quand on chute, c’est la viande — notre enveloppe mortelle — qui encaisse.